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25/02/2023

Salon International de l'Agriculture 2023 : quels enjeux pour le monde agricole ?

Salon International de l'Agriculture 2023 : quels enjeux pour le monde agricole ?
 Hugues Bernard
Auteur
Chargé de projets - Climat et environnement

Du 25 février au 5 mars 2023, le Salon International de l'Agriculture ouvrira ses portes à Paris. Dans un contexte bouleversé par la guerre en Ukraine, les sujets de sécurité alimentaire, de coût des matières premières et de l'alimentation sont toujours au cœur des préoccupations du monde agricole et de l'industrie agroalimentaire. Cet enjeu conjoncturel s'ajoute à des défis plus structurels comme le dérèglement climatique ou l'attractivité globale de la filière agricole. 

Dans ce cadre, l'Institut Montaigne propose, en s'appuyant sur son rapport "En campagne pour l'agriculture de demain" (2021), une série d’articles présentant trois grands défis du secteur alimentaire (agricole et agro-alimentaire). 

Le premier repose sur l'érosion de la compétitivité de la "Ferme France" face à une offre agricole internationale moins chère. Le second, d'ordre plus systémique, est posé par l'impérieuse transition écologique du secteur agricole. Le troisième enfin renvoie au déficit d’attractivité de la filière dans une période charnière de renouvellement des actifs agricoles. Ces trois grands défis menacent la souveraineté alimentaire de la France et de l'Europe.

L'agriculture française : un secteur en mal de compétitivité 

La France est une puissance agricole mondiale

Elle est le cinquième exportateur mondial de produits agricoles, et premier producteur européen avec près de 17 % de la production totale du continent, loin devant l'Allemagne et l'Italie. La France demeure le premier exportateur mondial de vin, pommes de terre, semences, malt, et, au niveau de l'Union européenne, de blé. La compétitivité de l'agriculture française se distingue par sa stratégie de "montée en gamme", renforcée par la loi EGalim : les produits français investissent des marchés de niche destinés à l'export et plus rémunérateurs. Le Cognac en est une bonne illustration : 98 % de la production nationale est exportée. Plus généralement, les secteurs agricole et agroalimentaire représentent le troisième poste d’excédent commercial de notre pays (avec un peu plus de 8,4 milliards d’euros d’excédent en moyenne sur les dix dernières années), derrière l'aéronautique et la chimie.

Avec la guerre en Ukraine, le solde des produits alimentaires s'améliore, atteignant un record historique.

Avec la guerre en Ukraine, le solde des produits alimentaires s'améliore, atteignant un record historique. Alors qu'au niveau global, tout secteur confondu, les chiffres 2022 du commerce extérieur font état d'un déficit record de -163,6 milliards d'euros, largement dû à la hausse des prix de l'énergie, le solde des filières agricole et agroalimentaire passe, quant à lui, de 9,6 à 10,4 milliards d'euros.

L'essentiel est porté par le dynamisme des exportations de céréales, particulièrement celles du blé dont les ventes ont presque doublé par rapport à 2021 : une augmentation qui tient en premier lieu par un effet prix (+ 46 % du prix du blé exporté) puis un effet volume (+ 25 % de volumes exportés). La filière agricole a notamment pu renforcer ses positions en Afrique du Nord. Dans le cas du Maroc, la part des importations de blé français a augmenté de 17 points depuis le début de la guerre en Ukraine. 

Cependant plusieurs signaux alertent sur la dégradation de nos positions commerciales

La France est l'un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent. Si elle se classe cinquième exportateur mondial en 2021, elle pointait à la deuxième place en 2000. En deux décennies, la France a observé une multiplication par 2,6 en valeur de ses importations de denrées alimentaires : 73,2 milliards d'euros en 2022, contre 28 milliards en 2000. Cette année encore, la croissance des exportations (+18,5 %, après +17,1 %) est moins vive que celle des importations. Ce recul de la compétitivité affecte directement les filières alimentaires : aujourd'hui 142 catégories de produits alimentaires, référencés dans la base de données des douanes, affichent un déficit de plus de 50 millions d’euros (15 % des 911 catégories déficitaires au total). Parmi les déficits les plus prononcés figurent le café (- 800 millions d’euros) ou les avocats (- 384 millions d'euros). 

L'hypothèse d'un mauvais positionnement de marché dans certaines filières ne doit pas être écartée. La France est compétitive sur le premium mais cette stratégie de montée en gamme (appellations, bio…) a pu conduire à délaisser les entrées et milieux de gamme qui assurent des volumes importants. Le passage à des produits premium a fait diminuer la compétitivité-prix de l'agriculture française : les charges des agriculteurs ont augmenté et leurs rendements diminué en  raison de matières premières plus chères et de normes environnementales plus strictes. 

L'hypothèse d'un mauvais positionnement de marché dans certaines filières ne doit pas être écartée.

Par ailleurs, le remplacement de produits français par des denrées importées est problématique sur les plans sociaux et écologiques. Les écarts de prix significatifs entre produits français et importés créent des inégalités d’accès au made in France. Un récent rapport du Sénat s’inquiète des “effets de bord” induits par la stratégie de montée en gamme : réduire le nombre de ménages susceptibles de consommer français, en raison de prix trop élevés. La filière tomate en est un éloquent exemple. En moyenne, les tomates cerises françaises sont vendues à environ 1 € la barquette de 250 grammes, quand la barquette marocaine est à 0,54 €. Les gains environnementaux d’une production française strictement encadrée sont balayés par l'importation de produits internationaux, lesquels ne sont pas soumis aux mêmes réglementations environnementales (utilisation intensive de pesticides, gestion abusive de ressources…) et dont le coût climatique lié au transport n'est pas négligeable.

La France peut renforcer sa compétitivité en luttant contre les distorsions de concurrence

Dans ce contexte, l'Institut Montaigne alertait dans son rapport "En campagne pour l’agriculture de demain" (2021) sur l'essoufflement de la souveraineté alimentaire de la France du fait, en partie, de distorsions de concurrence. Il ne s'agit pas pour la France de revenir sur ses engagements sociaux et environnementaux pour retrouver une compétitivité-prix mais bien de pousser ses partenaires commerciaux à respecter les mêmes règles. 

Le rapport préconise l'instauration systématique de "clauses miroirs" et de conditionnalités tarifaires dans les accords commerciaux multilatéraux. Ce mécanisme permettrait d’imposer une réciprocité entre les standards de production européens et ceux des pays souhaitant commercer avec le marché unique. Il existe aujourd’hui des écarts importants entre les normes.

Le rapport préconise l'instauration systématique de "clauses miroirs" et de conditionnalités tarifaires dans les accords commerciaux multilatéraux. 

 Ainsi, plus de 10 % de produits importés depuis les pays tiers ne respecteraient pas les normes européennes (25 % pour les produits à base de viande). Parmi les produits contrôlés aux frontières, un échantillon sur quatre contient des résidus de pesticides au-delà de la limite maximale autorisée en Europe et parfois avec des substances interdites. Un quart des molécules autorisées aux États-Unis et plus de 40 % de celles utilisables au Brésil demeurent interdites en Europe. En clair, ce double standard représente une distorsion de concurrence structurante qui pénalise la compétitivité-prix de l’agriculture française. 

Récemment, et dans la droite ligne des recommandations de notre rapport, la Commission Européenne avançait sur l'instauration de 'clauses miroirs'. Sous la Présidence française de l'Union Européenne (de janvier à juin 2022), elle publiait un rapport optimiste sur la faisabilité juridique d'un tel mécanisme sur les produits agricoles et agroalimentaires importés. Dans la pratique, cette extra-territorialité du droit européen se heurte en partie aux règles de l'OMC qui veille à la continuité du commerce international. De plus, cette mesure ne fait pas l’unanimité chez tous les États membres dont certains craignent des effets néfastes pour leur compétitivité. Cette mesure comporte en effet le risque de voir certains pays tiers se retirer des accords de libre-échange ou prendre des mesures de rétorsion contre des produits européens.   

De manière plus générale, le rapport appelait à exclure certaines filières sensibles des négociations commerciales conduites avec des pays trop éloignés de nos standards européens. Cette exclusion ciblée comporterait un double avantage. Elle permettrait d’abord de protéger certaines de nos filières françaises, plus fragiles mais indispensables au maintien des activités agricoles dans les territoires (comme les Outre-mer ou les zones de montagne). Ces dernières ne sauraient être exposées sans dommages à la concurrence des agricultures du monde, non soumises aux pratiques européennes. Ensuite, une telle exclusion permettrait de marquer l’engagement social et environnemental de la France, laquelle ne cautionne plus d’importer des productions issues de la déforestation ou sapant les droits humains. Sur ce point, l'Union Européenne a annoncé en décembre 2022 un plan contre la déforestation importée, prévoyant ​de mettre fin d’ici 2030 à l’importation de produits forestiers ou agricoles contribuant à la déforestation (soja, huile de palme, cacao, bœuf, hévéa, bois et leurs produits dérivés). La puissance normative de l'UE, encadrant l’accès au marché unique, constitue de fait une arme environnementale majeure au service de la transition.

 

 

Copyright Image : Ludovic MARIN / AFP

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