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22/09/2022

Réussite et échec en premier cycle universitaire en France, comment en juger ?

Réussite et échec en premier cycle universitaire en France, comment en juger ?
 Francis Vérillaud
Auteur
Ancien conseiller spécial de la direction

Les taux de réussite des étudiants en premiers cycles universitaires, notamment en licence générale, font l'objet d'une attention toute particulière. Or les défaillances observées pendant les premières années de formation sont préoccupantes dans notre pays. Elles le sont d'autant plus aujourd'hui que c’est pratiquement une génération complète qui obtient le baccalauréat. Ce choix politique de porter toute une génération au niveau des études supérieures contient une promesse de promotion individuelle et sociale à laquelle il nous faut impérativement répondre.

Est-il possible d'identifier les éléments constitutifs de l'échec ou de la réussite des parcours étudiants dans les premiers cycles ? Dans quelle mesure les conditions et les modalités d’accès à l'enseignement supérieur en France ont-elles un impact sur la réussite étudiante ? 

Le sujet est évidemment d'importance compte tenu du rôle de la licence dans l'accueil des jeunes bacheliers. En effet, ce sont près d'un tiers des néo bacheliers qui s'y sont inscrits ces dernières années. 

Deux approches complémentaires sur la réussite et l'échec en premier cycle universitaire.

Une première lecture directe des résultats en premier cycle universitaire met l'accent sur les faibles taux de réussite en licence. Ces données sont connues et doivent être examinées avec une certaine distance. 

Une première lecture directe des résultats en premier cycle universitaire met l'accent sur les faibles taux de réussite en licence. 

Ainsi, les chiffres du Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation relèvent que 31,7 % des inscrits en première année de licence (L1) en 2017 sont diplômés après 3 ans et que un peu moins de la moitié des inscrits en L1 seront diplômés après 3, 4 ou 5 ans. Les mêmes statistiques montrent qu'en troisième année de licence, 40 % de la cohorte 2017 n’est plus inscrite à l'université. Ce dernier chiffre est évidemment important puisqu'il représente à lui seul 80 000 jeunes. 

Les indicateurs du ministère nous indiquent que près de 45 % de ces 80 000 jeunes sont titulaires d’un baccalauréat technologique ou d’un baccalauréat professionnel ; or ces deux catégories représentaient seulement 21,6 % des inscrits en L1 en 2017 et sont donc massivement surreprésentées dans le groupe des non-inscrits. En effet, 70 % des bacheliers technologiques abandonnent le cursus de licence avant la 3e année, et les abandons touchent 82 % des bacheliers professionnels. Le taux d’abandon est lui de 30 % pour les titulaires d’un Bac général. 

Il est cependant possible de mieux cerner la nature de ces graves difficultés observées au sein des parcours de licences. Tout d’abord, on observe que les taux de réussite varient de façon très forte en fonction des mentions obtenues au baccalauréat. Les bacheliers mention très bien sont 69,1 % à obtenir leur licence en trois ans et presque 80 % à l’obtenir en trois ou quatre ans. Les bacheliers mention bien les suivent de près. 

Par ailleurs, les taux de réussite augmentent également sensiblement quand on les calcule seulement sur les étudiants faisant preuve d’assiduité (présence aux examens) plutôt que sur ceux qui sont inscrits administrativement. Il est clair que plus les qualités scolaires sont maîtrisées par les étudiants, plus la réussite est importante. 

On ne peut s'empêcher dès lors de mettre en cause le sujet de l'orientation ou de l'absence d’orientation d’une grande partie de ces bacheliers. Ce qui pose immédiatement deux autres questions : tout d'abord, pourquoi ces bacheliers "technologiques" et "professionnels" sont-ils aussi nombreux à s’inscrire en licence dès l'obtention de leur baccalauréat ? Ensuite, pourquoi une part importante de ces bacheliers ne disposent-ils pas de la préparation nécessaire à la poursuite avec succès d’un cycle long généraliste à l’université ? Ce sont les questions auxquelles la Loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (Loi ORE) de mars 2018 et sa plateforme Parcoursup ont commencé à répondre. 

Malgré tout, ces résultats en licence générale ne doivent pas occulter le bon déroulement des formations de cycle court ou encore celui des niveaux master et doctorat. On peut également évoquer le cas de la licence professionnelle qui se réalise en un an après deux années d’études supérieures, avec des taux de réussite excellents (avec 89,1 % de réussite en 1 an et 91,2 % en 1 ou 2 ans). 

Une autre approche consiste à appréhender la question de la réussite au sein des premiers cycles universitaires de façon longitudinale. On accède alors à une autre réalité beaucoup plus complexe. La question devient dès lors davantage de comprendre si l'offre complète de formation est capable ou pas de construire des parcours de réussite pour le plus grand nombre d’entrants. Combien parmi les 80 000 jeunes qui ne sont plus inscrits à l'université après trois années de licence ne parviennent pas à finaliser un parcours et sortent définitivement du système de formation sans formation achevée et sans diplôme de l'enseignement tertiaire ?

Une autre approche consiste à appréhender la question de la réussite au sein des premiers cycles universitaires de façon longitudinale.

Pour répondre à cette question il faut interroger ce qu’il se passe dans les parcours de l’enseignement supérieur. En effet, on observe qu'une part importante de ceux qui connaissent des trajectoires très variées après l’entrée en L1, seront dans une proportion non négligeable diplômés in fine, d'autres formations, souvent non universitaires.

Ces situations sont décryptées dans un rapport de l'IGESR "Mesure de la réussite étudiante en licence au regard de la mise en œuvre de la loi ORE 2021 004" (Janvier 2021) qui tente de mettre en avant une typologie des étudiants inscrits dans le premier cycle de licence. Le travail effectué permet d'identifier cinq profils d'origine des étudiants de licence.

  • Les néo bacheliers en L1 et par assimilation, les néo entrants en L2 et L3
  • Les redoublants
  • Les réorientations
  • Les reprises d'études
  • Les autres étudiants

Ces différents profils recouvrent une très grande variété de situations qui soulignent le rôle de la licence générale dans le processus d'orientation et de réorientation d’un nombre très important d'étudiants et définissent une multitude de trajectoires particulières. À titre d'exemple, le redoublement qui est souvent retenu comme une marque d’échec recouvre aussi bien le cas de l’étudiant qui a validé un nombre insuffisant de crédits ECTS (European Credit Transfer System) que celui de l’étudiant qui est inscrit dans un parcours individualisé et qui bénéficie d'un allongement de scolarité. 

Les néo bacheliers représentent seulement 57 % des inscrits en L1 en 2018-2019. L'étude évalue à 15/20 % la proportion des redoublants, à 12/22 % la proportion des réorientations et à 4/10 % celle des reprises d’études. Dès lors, il est plus facile d'admettre que le suivi d’un parcours de licence en trois ans ne permet pas de résumer la notion de réussite ou d’échec. Compte tenu de l'importance du sujet de la réussite dans les parcours de formation, en raison du coût induit qu'entraîne pour les personnes, les familles et la collectivité, la durée des études, la non diplomation et l'absence de formation correspondante, il demeure crucial de saisir et de mesurer la place et la nature de l'exclusion dans le parcours de la licence générale. 

Il est plus facile d'admettre que le suivi d'un parcours de licence en trois ans ne permet pas de résumer la notion de réussite ou d'échec.

Une récente note du ministère de janvier 2022 donne un éclairage plus complet sur les trajectoires des étudiants et la notion de réussite. La note interroge : "les bacheliers 2014 entrés dans l'enseignement supérieur, où en sont-ils à la rentrée 2020 ?" c'est-à-dire sept ans après leur première inscription. Tous niveaux de formation concernés, 80 % des bacheliers 2014 qui sont entrés dans l'enseignement supérieur ont obtenu un diplôme. Un quart des bacheliers 2014 est encore en poursuite d’études supérieures à la rentrée 2020, essentiellement inscrits en études longues (doctorat, master, écoles d'ingénieur, écoles de commerce…). 

Mais par ailleurs, un certain nombre de ces bacheliers sont inscrits en études courtes après des périodes de réorientation ou encore de sortie dans la vie active. 

Pour ce qui est des bacheliers inscrits en licence à la rentrée 2014 et qui sont sortis de l'enseignement supérieur avant la rentrée 2020, la note montre que 72 % d’entre eux sont diplômés de l’enseignement supérieur et 28 % n'ont obtenu aucun diplôme. Ces jeunes bacheliers, inscrits en cursus de licence, sortis sans diplôme de l'enseignement supérieur, représentent à peu près 50 % des 80 000 jeunes recensés comme sortis de l'enseignement supérieur avant l’entrée en 3 année de licence générale. 

On ne sait donc pas avec suffisamment de pertinence quels sont les étudiants qui quittent l’enseignement supérieur et qui y reviennent plus tard. Toutefois, on peut établir que la part des néo bacheliers inscrits en licence à la rentrée 2017, qui seront véritablement en "sortie définitive du parcours, sans diplôme et sans réorientation" représente tout de même une proportion inférieure aux 40 % de la cohorte 2017 qui n’est plus inscrite à l'université en 3ème année de licence. 

Au final, il apparaît que la licence générale mise en œuvre par l'université joue un double rôle, d'une part celui de préparation et de propédeutique pour une partie des étudiants qui poursuivront en master, et d'autre part celui d'une sorte de sas dont on entre et sort en fonction de priorités qui dépendent d'autres objectifs que ceux qui sont affichés par la formation initiale.

Des conditions d’accès à l’enseignement supérieur qui doivent répondre aux exigences de la promesse faite aux jeunes bacheliers.

Le constat, c'est bien que la question de la réussite dans les premiers cycles dépend fortement des conditions d'accès à l’enseignement supérieur dans notre pays. La proportion d'une classe d'âge accédant au baccalauréat en France continue d'augmenter (87 % en 2022) et la proportion d'entrants dans l'enseignement supérieur également (76,9 % des bacheliers 2020), à la fois pour des raisons démographiques mais aussi pour des raisons de "scolarisation", la création du baccalauréat professionnel en 1985 jouant un rôle déterminant dans cette croissance. 

Si l’on examine la répartition des bacheliers entrant dans l'enseignement supérieur en fonction de leurs filières d’origine, on observe que 93 % des bacheliers généraux poursuivent des études supérieures, mais seulement 78,6 % des bacheliers technologiques sont dans ce cas et 42,8 % des bacheliers professionnels

Quelle est la distribution des bacheliers dans l'enseignement supérieur en fonction de la filière du baccalauréat ? Les bacheliers généraux qui représentent 53,3 % des bacheliers sont très largement présents à l'université (81 % des entrants) et de façon tout à fait attendue en Classe Préparatoire aux Grandes Écoles (CPGE) (93,5 %). Plus curieusement on remarque qu’ils constituent 65 % des entrants dans les Instituts Universitaires de Technologies, les IUT et 20 % des entrants dans les Sections de Technicien Supérieur (STS). Les bacheliers technologiques, 20,7 % des bacheliers, sont 15,4 % à l’université dont 33,5 % en IUT. 

93 % des bacheliers généraux poursuivent des études supérieures, mais seulement 78,6 % des bacheliers technologiques sont dans ce cas et 42,8 % des bacheliers professionnels. 

Ils représentent 38,5 % des entrants en STS. Enfin, les bacheliers professionnels, 26 % des bacheliers ne comptabilisent que 13,9 % des entrants largement regroupés en STS où ils forment 41,2 % des entrants. 

Les évolutions majeures dans cette distribution de l’accès à l’enseignement supérieur entre 2010 et 2020 sont l'accroissement du nombre des bacheliers technologiques en IUT et la croissance massive des bacheliers professionnels dans les STS qui coïncide tout simplement avec celle du nombre de ces bacheliers. 

La prise en compte de l'origine sociale des bacheliers selon les filières du baccalauréat fait apparaître une surreprésentation des catégories les moins favorisées dans les filières technologiques et professionnelles. Les catégories "ouvrier, employé, retraité et inactif" constituent 61 % de la première et 69,4 % de la seconde alors qu'elles ne sont que 52,9 % des bacheliers. Or on l'a vu, une part très importante des abandons en cours d’étude de licence est le fait des néo bacheliers technologiques et professionnels. Le contraste est fort avec les CPGE où les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieurs constituent 51,4 % des effectifs de première année en 2019 alors que les enfants d’ouvriers et d’employés en représentent 18,4 %.

Toutefois, le caractère hypertrophié des filières générales aussi bien au niveau du baccalauréat qu'à l’université incite à poser la question de l'extension des filières technologiques et professionnelles aussi bien dans le secondaire que dans le supérieur. Tout se passe comme si la filière générale envahissait les formations du tertiaire conçues pour les bacheliers technologiques et même celles des bacheliers professionnels. Au point qu'il a d’ailleurs été nécessaire d’instaurer des quotas d’entrée en IUT pour les bacheliers technologiques. Ainsi, une part non négligeable des bacheliers technologiques et professionnels s’inscrivent en licence générale faute de pouvoir le faire dans les filières universitaires courtes. 

La France ayant fait le choix d'un accès massif à l'enseignement tertiaire, il est capital que les taux de réussite aux diplômes augmentent fortement dans l'enseignement supérieur au risque de ne pas répondre aux aspirations créées par la généralisation de l’accès au baccalauréat. Cet objectif ne pourra être atteint que par une révision profonde de l'offre de formation de l’enseignement supérieur.

Il est essentiel que le diagnostic sur les parcours étudiants dans les premiers cycles universitaires fasse l’objet d’un consensus largement partagé au plan politique comme au plan social. 

Plus encore, il est essentiel que le diagnostic sur les parcours étudiants dans les premiers cycles universitaires fasse l’objet d’un consensus largement partagé au plan politique comme au plan social. Faute de quoi l’enseignement supérieur ne parviendra pas à se transformer pour répondre, non seulement aux aspirations légitimes des nouvelles générations de bacheliers qui voient dans les diplômes universitaires un outil d’épanouissement personnel, social et économique, mais aussi aux nécessités de notre pays dans un monde plus complexe et plus incertain.

Seul un diagnostic partagé permettra de construire une nouvelle dynamique basée sur la confiance de l’ensemble des acteurs de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR). Les conditions de la réussite étudiante dans les premiers cycles universitaires s'organisent autour de quatre grandes thématiques qui pourraient constituer les bases d’une politique rénovée de l’enseignement supérieur en France.

  • L'augmentation rapide et significative du financement de l'enseignement supérieur afin de rattraper la baisse des années 2010-2018 de la dépense moyenne par étudiant. Le recrutement de nouveaux enseignants est indispensable pour assurer un taux d’encadrement de qualité en licence. 

  • La remise à plat de l'aide sociale destinée aux étudiants pour qu’elle soit concentrée sur ceux qui en ont le plus besoin ? C’est tout l'objet des réflexions engagées par la ministre à cette rentrée.

  • L'approfondissement de l’articulation entre l’organisation même de l'enseignement secondaire, tout particulièrement son rôle de préparation et de pré-orientation, et l'offre de l'enseignement supérieur ? C'est l'objet de la Loi ORE et de la plateforme Parcoursup. Cette adéquation ne doit pas être conçue de façon mécanique et statistique, elle doit d’abord être le résultat de la préparation des élèves du secondaire à l’acquisition des prérequis et des compétences nécessaires pour passer d’un système à l'autre, ou encore dans la mise en œuvre d'une plus grande progressivité et modularité dans l'enseignement supérieur.

  • La redéfinition des modalités de l'insertion des jeunes diplômés sur les marchés du travail qui doivent établir un équilibre entre les prérequis de la professionnalisation et la maîtrise des savoirs et attitudes scolaires. 

Les conséquences de ces réformes sur les parcours en licence ne produiront des résultats qu’à la condition de remonter tout au long du processus éducatif et d’accepter d'en saisir les points clés, notamment comment origines sociales et difficultés scolaires, en réalité tout au long du parcours éducatif des jeunes, s'entremêlent et menacent ainsi ce qui constitue une des bases de la cohésion sociale dans notre société. 

En 2022, l'université fait partie d’une chaîne éducative complexe, très diversifiée, dont tous les éléments n'ont pas vraiment pris conscience de leurs interconnexions et de la façon dont les étudiants et les familles tentent de les maîtriser. 

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