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31/01/2023

Retour sur : notre événement sur l'avenir des quartiers pauvres, en présence du ministre Olivier Klein

Retour sur : notre événement sur l'avenir des quartiers pauvres, en présence du ministre Olivier Klein
 Iona Lefebvre
Auteur
Ancienne responsable de projets - Territoires et société

Le 24 janvier 2023, l'Institut Montaigne organisait une conférence sur l'importance des quartiers pauvres, ou quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), autour du Ministre de la Ville et du Logement, Olivier Klein et d’acteurs représentant les territoires et la société civile. L'occasion de réaffirmer l'intérêt et l'engagement de l'Institut Montaigne pour ces sujets, au cœur de notre cohésion sociale. Les intervenants ont pu discuter des propositions de nos deux rapports consacrés à ce sujet : L’avenir se joue dans les quartiers pauvres (juin 2022) et Les quartiers pauvres ont un avenir (octobre 2020). 

Différents intervenants ont ainsi livré leur vision de la politique de la ville et de la situation dans les quartiers, en partant de leur vision du terrain et de la réalité vécue au quotidien. Hakim El Karoui, Senior Fellow à l'Institut Montaigne et co-auteur des rapports dédiés à ce sujet, Jade Ricouart, étudiante à Sciences Po et responsable des alumni des Entretiens de l'Excellence, Anne Voituriez, maire de Loos (59) et vice-présidente de la Métropole Européenne de Lille en charge du logement et de l'habitat, Rémi Engrand, directeur du cabinet et de la communication de Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes (78) sont revenus sur les principaux enjeux et défis identifiés dans ces quartiers. Le Ministre de la Ville et du Logement, Olivier Klein, a pu nous apporter son témoignage et sa vision pour l'avenir.

Nous revenons en quelques points sur ces échanges, afin de faire vivre nos travaux et de croiser les regards sur ce sujet essentiel de cohésion sociale et nationale.

D'abord, la nécessité de mieux connaître les quartiers et la diversité des réalités vécues pour changer de regard

La conférence s'est ouverte sur un rappel essentiel de ce que sont nos banlieues. Depuis la loi Lamy de 2014, certains territoires sont désignés "quartiers prioritaires de la politique de la ville" (QPV) sur le seul critère du taux de pauvreté ; celui ci atteint en moyenne 43,6 % dans les QPV, c’est-à-dire que les habitants sont en moyenne trois fois plus pauvres que sur le reste du territoire. C'est une donnée à rappeler et que l'on a tendance à oublier : osons appeler ces quartiers comme ils sont, des quartiers pauvres.

Ensuite, ces quartiers, si l'on prend le temps de bien les observer, recoupent des réalités variées selon leur situation géographique mais aussi et surtout leurs caractéristiques socio-économiques. Un quartier de banlieue parisienne ne connaît pas exactement la même réalité qu'un quartier d’une petite ville excentrée, comme Lons-le-Saunier (chef-lieu du département du Jura, preuve que les petites villes aussi peuvent avoir des QPV). Contrairement à certaines idées reçues, les QPV de Seine-Saint-Denis sont plutôt dynamiques économiquement, profitant des flux et opportunités de la capitale. Là où les quartiers "post-industriels", situés par exemple sur le bassin minier, souffrent d'un chômage plus marqué. 

Ces quartiers [...] recoupent des réalités variées selon leur situation géographique mais aussi et surtout leurs caractéristiques socio-économiques.

Par ailleurs, la Seine-Saint-Denis, représentative des quartiers métropolitains, se distingue par une part plus importante de population immigrée (atteignant 30 %) et jeune (indice de jeunesse de 1,9, près du double de la moyenne nationale), là où les quartiers post-industriels concentrent une part significative de population ouvrière et plus pauvre, et où les quartiers excentrés doivent se poser davantage la question du bien vieillir dans leurs logements, face à une part plus importante de population de plus de 60 ans.

Deuxième élément notable : ces quartiers, où qu’ils soient situés, souffrent d'un réel sous-investissement public, en équipements mais aussi et surtout en fonctionnaires. Si l'on regarde la masse salariale pour l'Éducation Nationale, la Sécurité et la Justice, c'est un milliard d’euros en moins que sur le reste du territoire national ; autrement dit, la réalité est qu'on donne moins à ceux qui ont moins. Mais paradoxalement, les habitants des quartiers ne sont pas ceux qui contribuent le moins au financement de notre système de redistribution sociale. Un exemple est frappant : la Seine-Saint-Denis est le 8ème contributeur au financement de la protection sociale et le dernier receveur. Alors qu'il est le département le plus pauvre de France. Cela s'explique par les retraites, certes, mais n'enlève en rien au fait que les quartiers contribuent à notre système social, et qu’ils reçoivent moins.

C'est une réalité qu'il ne faut cesser de rappeler, et cette conférence du 24 janvier 2023 en a été à nouveau l'occasion. Notre conviction est que pour agir dans les quartiers, il faut d'abord changer le regard et reconnaître leur situation : c'est la condition pour une politique publique qui marche. Le témoignage de Jade Ricouart, qui prenait la parole pour les Entretiens de l'Excellence, est éloquent. La première discrimination pour les jeunes dans les quartiers, c'est l'accès à l'information sur leurs choix d'orientation pour l'avenir. 

Pour agir dans les quartiers, il faut d'abord changer le regard et reconnaître leur situation : c'est la condition pour une politique publique qui marche. 

Or, dans ces territoires, la distance sociale et culturelle est telle que les jeunes sont souvent très éloignés de cette information. La réalité qu’ils vivent ne ressemble pas à celle de la majorité des autres jeunes de notre pays. Le temps qu'ils doivent passer chez eux, pour aider leur parents notamment, n'aide pas toujours à prendre le temps de réfléchir à son avenir. C'est cette réalité qu'il faut prendre en compte pour la dépasser : accompagner les jeunes, investir sur ces jeunes, les aider à penser et construire leur avenir, à se dire "pourquoi pas moi" plutôt que "je ne pourrais jamais y arriver". C'est en montrant à ces jeunes qu'on leur donne les outils pour réussir, et que les réussites existent, qu'on pourra leur permettre de développer pleinement leur potentiel.

Puis, l'importance de "donner plus à ceux qui ont moins" et d'agir tant sur l'habitat que sur l'habitant

La politique de la ville doit permettre d'agir sur cette réalité. Dans les faits, et c'est le sens du témoignage des élus, elle fonctionne : sans cette politique publique, on ne peut pas imaginer ce que serait la vie dans les quartiers. Mais elle n'en fait pas encore assez. 

La politique de la ville s'est d'abord concentrée sur le bâti : rénover les quartiers est une nécessité, les logements doivent être habitables, c'est un prérequis nécessaire, notamment pour désenclaver les quartiers et mieux les relier à leur environnement - sans enfermer les habitants. Mais l'habitat ne doit pas aller sans l'habitant. La politique de la ville doit autant permettre aux habitants de bien vivre dans leur quartier, tout comme leur donner les outils et opportunités de voir au-delà du quartier et de le quitter. La maire de Loos a par ailleurs insisté sur la temporalité des projets dans les quartiers, qui combinent à la fois le temps long du bâti, et le temps court ou quotidien de la vie des habitants, qu'il est indispensable de traiter simultanément.

La politique de la ville doit autant permettre aux habitants de bien vivre dans leur quartier, tout comme leur donner les outils et opportunités de voir au-delà du quartier et de le quitter. 

Si le volet habitat fonctionne bien, grâce à l'action de l'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), sous l'impulsion de Jean-Louis Borloo, pourquoi ne pas faire pareil pour les habitants ? Le rapport de l'Institut Montaigne proposait de développer un "ANRU des habitants" : un outil pour investir sur le long terme, de manière pluriannuelle, avec des objectifs, un pilotage et des évaluations, sur le social et les habitants. Certaines initiatives de terrain vont en ce sens et cherchent à lier urbain et humain. Les élus invités lors de la conférence l'ont rappelé : c'est le cas notamment de la cité éducative mise en œuvre tant à Chanteloup-les-Vignes qu'à Loos.

C'est un moyen de réunir l'ensemble des acteurs qui agissent pour les jeunes, en pensant un accompagnement sur le temps long. À Chanteloup-les-Vignes, cette cité éducative a été pensée à la fois à travers la construction d'un bâtiment dédié, qui permet d'améliorer l'environnement urbain du quartier, et le déploiement d'un projet autour de la jeunesse, de la parentalité, et visant à donner des outils et opportunités aux jeunes. C'est aller au-delà de la rénovation de l'urbain pour enclencher une rénovation du regard sur l'humain. 

D'autres idées, issues des travaux de l'Institut Montaigne, ont été rappelées par les intervenants : l'importance d'investir sur le tutorat pour les jeunes, en impliquant davantage les entreprises - il pourrait être expérimenté de le rendre obligatoire dans certains territoires -, et la nécessité de pérenniser le soutien aux associations, acteurs de terrain indispensables pour accompagner les habitants et réduire cette distance sociale et culturelle.

Enfin, l'enjeu majeur de redonner le pouvoir d'agir aux habitants : sur leur avenir et dans la construction des politiques publiques 

Finalement, la politique de la ville, pour évoluer et répondre au mieux aux besoins des habitants doit être pensée sur mesure et avec ceux qui vivent dans les quartiers : c'est la condition comme la conséquence de ce changement de regard. Cela passe par la reconnaissance et l'affirmation du pouvoir d'agir des habitants : leur donner les outils nécessaires pour s'exprimer et co-construire leurs quartiers et les politiques qui leur sont destinées. 

Il s'agit donc d'aller encore plus loin dans la politique de la ville, en amorçant une nouvelle phase qui soit à la fois celle d'un investissement toujours plus important sur l'humain, et d’un renouvellement de la participation citoyenne. Plus de libertés doivent être laissées aux territoires, aux élus et aux habitants pour s'approprier leurs problématiques du quotidien et les solutions qui doivent être développées. L'État doit impulser des politiques, garantir leur mise en œuvre, mais laisser toute la marge de manœuvre aux acteurs du terrain : pas seulement les techniciens, mais ceux qui vivent, travaillent, et construisent leur avenir dans les quartiers.

Qu'ils rêvent d’en sortir ou qu'ils souhaitent y rester et y construire les conditions de leur réussite, les habitants des quartiers doivent, comme les autres, bénéficier de l'égalité des chances et de ce que peut offrir la promesse républicaine. C'est non seulement un enjeu pour les quartiers, mais pour la cohésion de notre nation toute entière. On ne peut plus accepter que des territoires soient oubliés, que plusieurs réalités existent en France et que rien ne soit fait contre la menace d'archipellisation de notre pays, qui est bien réelle et contre laquelle nous devons collectivement agir. 

 

 

Copyright image : Marcella Barbieri

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