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05/11/2021

Recherche en santé : soigner les maux de demain

Trois questions à Gilles Bloch

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Recherche en santé : soigner les maux de demain
 Gilles Bloch
Président-directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

Gilles Bloch, Président-directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) est intervenu courant octobre auprès des adhérents de l’Institut Montaigne. L’Inserm est l’organisme national français chargé de la recherche médicale. Il contribue à la production de connaissances destinées à améliorer la santé de tous, en travaillant main dans la main avec le monde universitaire et hospitalier. L’Institut compte aujourd’hui près d’un milliard d’euros de budget. Il est également le premier dépositaire européen de brevets dans le domaine pharmaceutique. Gilles Bloch est revenu sur le rôle qu’a joué l’Inserm pendant la crise sanitaire et les défis auxquels l’institut de recherche fait face pour se maintenir dans la compétition internationale. 

Comment l’Inserm a-t-il fait face à la crise sanitaire et est parvenu à réorienter ses efforts de recherche ?

Tout comme les autres acteurs de la recherche, l’Inserm a été surpris par l’ampleur de la crise du Covid-19. Bien sûr, depuis les premières épidémies de SRAS, l’Inserm et Aviesan avaient mis en place un consortium multidisciplinaire, REACting, pour préparer et coordonner la recherche française en cas d’épidémie. Mais la crise du Covid-19 a été inédite à tout point de vue. Dans des conditions inédites, et en dépit de la soudaineté et de l’intensité de la crise, l’Inserm a réussi à maintenir un rythme d'activité soutenu, focalisé en priorité sur le Covid-19. En cohérence avec notre devise "la science pour la santé", nos chercheuses et chercheurs ont travaillé sans relâche pour accélérer la production des connaissances sur le virus Sars-Cov 2, sur la maladie Covid-19, ainsi que sur les moyens d’en guérir ou d’éviter l’infection. Grâce à cette forte mobilisation de l’Inserm et de l’ensemble de la communauté de recherche, la France a maintenu son statut de "productrice" d’avancées scientifiques pendant la crise.

La France a été présente dans tous les champs de la recherche, bien qu’elle n’ait pas encore produit de vaccin. Au-delà de la question des budgets d’investissement des années passées, cela peut être imputable à un système industriel insuffisamment articulé avec le système de recherche académique au début de la crise. Depuis, des mesures ont été prises pour mieux faire fonctionner ce système, avec par exemple la création de l’agence interne à l’Inserm, intitulée ANRS Maladies Infectieuses Émergentes. Mise en place en janvier 2021 après la fusion entre l’ancienne ANRS et REACTing, elle a notamment pour mission de coordonner la recherche sur les maladies infectieuses. Ainsi, nous avons désormais une structure identifiée sur cette thématique qui favorise une meilleure coordination de l’ensemble des acteurs.
 
Enfin, avec la crise sanitaire, l’Inserm a pris la décision de monter en puissance sur l’information du grand public, avec le lancement de son film de marque diffusé sur des chaînes de télévision. En parallèle, et pour lutter contre le phénomène des "infox" sur les réseaux sociaux, l’Inserm a créé une série de vidéos intitulées "Canal Détox" qui décryptent les fausses informations en santé. Nous avons aussi monté une cellule de riposte avec une centaine de nos chercheuses et chercheurs pour analyser l'actualité en santé, partager des messages scientifiquement validés et répondre aux nombreuses questions des médias et, derrière eux, des citoyens. 

Comment envisagez-vous le futur de la recherche en santé ?

Il faut des moyens orientés sur un certain nombre de priorités définies par des besoins de santé. En effet, il y a plusieurs domaines où la France a besoin de rattraper son retard. Tout d’abord, la recherche en santé mentale nécessite une attention particulière, ce que le Président de la République a évoqué durant les Assises de la santé mentale en septembre dernier. Il est essentiel d’avoir, en France, des programmes de recherche bien financés sur ces familles de maladies, qui permettront ensuite d’améliorer la prise en charge des patients. La santé mentale est en effet une vaste galaxie, et il y a encore beaucoup de troubles qui sont mal caractérisés. 

Ses moyens étant limités, l’Inserm focalise dans un premier temps ses efforts sur un certain nombre de maladies, en fonction de leur poids et de leur perception dans la société, comme la bipolarité, la schizophrénie et les troubles du neurodéveloppement. Un gros travail de compréhension, de stratification et de classification de ces troubles est encore nécessaire pour pouvoir développer des thérapies plus personnalisées. 

La recherche en santé mentale nécessite une attention particulière,

Il faudrait également une campagne pédagogique, qui inclut directement les patients, pour améliorer la perception sociale des maladies psychiatriques. La démarche de "destigmatisation" du cancer qui a eu lieu ces vingt dernières années serait un bon exemple à suivre en santé mentale.

Un deuxième domaine à prendre en compte est la recherche en santé publique qui doit se mettre au service de nos concitoyens. Elle englobe plusieurs thématiques, telles que la recherche en prévention accompagnant la mise en place de politiques de prévention dans notre pays. Il y a beaucoup d’autres domaines, comme les maladies chroniques, où nous devons avoir des stratégies de prévention bien étayées, grâce à la recherche.
 
Le troisième thème concerne la recherche sur le bien-vieillir. Nous appartenons en effet à une génération qui comptera beaucoup de centenaires. Il est nécessaire d'investir dans ce domaine pour retarder la perte d’autonomie et ainsi permettre aux Français d’avoir une vie aussi bien longue, épanouie, qu’en bonne santé.
 
La recherche en santé est également confrontée à des défis importants, tels que l’accès aux données avec le déploiement opérationnel de la science ouverte ou encore l’organisation du travail éthique dans la recherche.

Comment rendre la recherche publique française plus attractive ?

Au-delà des défis déjà mentionnés, l’enjeu le plus important aujourd’hui est sans doute d’encore mieux positionner la France dans la compétition internationale et d’investir davantage dans la recherche publique. La Loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 a impulsé un amorçage significatif pour regagner notre place dans le secteur. Cependant, le déploiement de tous les dispositifs prévus par celle-ci prend du temps, alors que d’autres pays continuent d’avancer à grands pas. À titre d’exemple, l’Allemagne a récemment annoncé qu’elle prévoyait d’investir massivement en recherche publique, ce qui risque de créer des conditions de compétition difficiles et de fuite des cerveaux dans les régions frontalières, comme à Strasbourg.

Pour relever ce défi, le premier axe sur lequel il faut travailler est l'attractivité du métier de chercheur en France. Plusieurs actions pourraient y contribuer, comme la revalorisation des salaires. En effet, le salaire moyen en début de carrière d’un chercheur français s’établit à seulement 63 % du salaire moyen des pays de l’OCDE. D’autre part, cela passe par de meilleures conditions de travail avec, entre autres, l’attribution de packages d'accueil pour les jeunes chercheurs et les talents internationaux qu’on essaie d’attirer. Il s’agirait par exemple de leur fournir un appui à la constitution de leur équipe, d’attribuer une dotation financière pour amorcer les premiers projets de recherche ou encore d’allouer locaux et matériels aux équipes.

L’enjeu le plus important aujourd’hui est sans doute d’encore mieux positionner la France dans la compétition internationale et d’investir davantage dans la recherche publique. 

Il faudrait également fluidifier encore l'articulation entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise. C’est déjà un axe essentiel de réflexion pour l’Inserm et pour le gouvernement actuel, mais il y a maintenant un réel besoin d’aller plus loin. À cette fin, l'Inserm facilite les mobilités des personnels vers et depuis le secteur privé. De plus, les startups sont désormais le mode de valorisation prédominant à l’Inserm, ainsi que dans la communauté nationale et internationale. Il faut donc s’atteler à les faire grossir et à embarquer le plus de chercheurs possible autour de ces projets.
 
Plus largement, la question des partenariats avec les entreprises doit être posée. Nous avons fait de grands pas en avant depuis la loi de 1999 sur l’innovation et la recherche, car ces partenariats étaient auparavant vus de manière très défavorable. Ainsi, la majeure partie des éminents chercheurs de l’Inserm ont contribué à la création de start-ups et de projets entrepreneuriaux. Les success stories se multiplient depuis quelques années, ce qui a permis une meilleure perception de l'utilité du partenariat avec le privé. Bien sûr, la France a encore du chemin à faire dans ce domaine, par rapport à d'autres pays comme les États-Unis.
 
Enfin, la France se trouve confrontée à une situation où il y a peu de philanthropie dirigée vers la recherche en santé, avec des donateurs qui préfèrent se tourner vers la culture, notamment. Sans opposer les domaines qui tous sont légitimes au recueil de dons, une plus grande pédagogie sur l'utilité de la recherche en santé pour les citoyens est un préalable nécessaire au développement de partenariats supplémentaires et à l’attrait de dons privés.
 

 

Copyright : Frederick FLORIN / AFP

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