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19/09/2018

Psychiatrie : quels modèles pour la France ?

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Psychiatrie : quels modèles pour la France ?
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

L’ouvrage Psychiatrie : l’état d’urgence, co-dirigé par l’Institut Montaigne et la fondation FondaMental, a été publié mi-septembre aux éditions Fayard. Ce livre dresse un diagnostic de la psychiatrie en France et formule plusieurs propositions visant à réformer la politique de santé mentale. Plusieurs pays se sont mobilisés pour améliorer la santé mentale de leur population avec des actions concrètes et innovantes. C’est le cas notamment du Royaume-Uni, du Danemark, de l’Australie, de la Suisse et du Canada. Cet article détaille quelques initiatives dont la France pourrait s’inspirer. 

Au Royaume-Uni : un patient acteur de ses choix thérapeutiques 

Psychiatrie : quels modèles pour la France ? Royaume-Uni

La création en 1998 du National Service Framework for Mental Health a permis de définir une approche très sociale de la psychiatrie, qui intègre la participation à part entière des “usagers”. Le système britannique s’est en effet construit sur un principe d’autonomisation des malades qui jouent un rôle déterminant dans les prises de décision les concernant, mais aussi dans leur propre évaluation de la qualité des soins dispensés et de leur qualité de vie.

Cet encouragement à l’autonomie a notamment été rendu possible par le paiement direct au patient. Après avis positif des services sociaux, un budget lui est versé directement pour permettre, en fonction de la perception de ses besoins, de recourir par lui-même aux types de services qui correspondent à son état de santé. Cette somme est souvent utilisée par le patient pour employer une aide à domicile. 

Avec une prise en charge qui limite les hospitalisations et implique directement le patient dans sa guérison, le Royaume-Uni est le pays d’Europe ayant la plus faible capacité résidentielle puisqu’en vingt ans, 112 hôpitaux psychiatriques sur 126 ont été fermés et le nombre total de lits est passé de 140 000 à 25 000. En parallèle, des structures alternatives de prise en charge à temps complet en dehors de l’hôpital ont été développées.

Le modèle danois : une prise en charge délocalisée

Psychiatrie : quels modèles pour la France ? Danemark

En 2007, une réforme structurelle du système de santé danois s’est appuyée sur une nouvelle organisation territoriale du pays avec une répartition claire des rôles et des responsabilités en terme de santé mentale. Ainsi, les rôles sont définis entre un niveau régional qui gère les soins et un niveau local qui coordonne le social. Les régions ont à leur charge l’organisation des hôpitaux psychiatriques et des différents services proposés aux malades. Les municipalités, elles, assurent la responsabilité des services d’aide à domicile, d’inclusion, de réhabilitation et de réinsertion sociale de la personne. Au Danemark, un quart de l’habitat locatif est réservé aux personnes ayant des problèmes sociaux ou mentaux. Ce rôle clé d’aide sociale assuré par les municipalités a fortement contribué à limiter la médicalisation de la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques.

Cette politique globale qui mise sur la solidarité et l’équité place le Danemark parmi les meilleurs élèves de l’Europe en matière de santé mentale. Ces réformes en profondeur se sont accompagnées d’une véritable transition vers l’ambulatoire et d’une introduction de logique de paiement à l’activité. 

L’Australie : priorité à la santé mentale des jeunes patients

Psychiatrie : quels modèles pour la France ? Australie

Le gouvernement australien a choisi de concentrer ses efforts sur les adolescents et les jeunes adultes afin de favoriser un dépistage précoce des troubles dépressifs, des comportements addictifs ou des conduites à risque de suicide. C’est en effet dans cette tranche d’âge que se manifestent la majorité des troubles mentaux. 

L’Australie a lancé en 2006 une initiative avec la National Youth Mental Health Foundation nommée Headspace. Ce programme s’est construit autour de quatre thématiques : la santé mentale, la santé physique, le soutien scolaire et les addictions. Il a été à l’origine de la création des  “maisons des adolescents”, appelés Headspace Centers. On en compte aujourd’hui 95 sur tout le territoire. Les jeunes peuvent y prendre un rendez-vous gratuitement et des médecins généralistes, des psychiatres ou des travailleurs sociaux sont à leur disposition dans des espaces très accueillants. Cette initiative a permis de déstigmatiser les jeunes atteints de troubles puisque ces espaces sont à la disposition de tous et entendent accompagner les patients sur de nombreuses questions qui les concernent, pas seulement liées aux troubles mentaux mais aussi à la drogue, l’alcool, la sexualité, etc. 

Dans un pays aussi étendu que l’Australie, appuyer cette démarche sur des outils digitauxa permis de toucher très largement les jeunes. L’initiative Headspace se targue d’avoir fourni plus de deux millions de services à 355 000 jeunes dans ses centres, en ligne (via l’e-headspace) ou par téléphone. En parallèle, le programme organise plusieurs actions de prévention et de sensibilisation, notamment des interventions de prévention du suicide dans les écoles.

En Suisse : une task force médicale dédiée

Psychiatrie : quels modèles pour la France ? Suisse

Le centre hospitalier universitaire vaudois de Lausanne a conçu en 2004 un programme de traitement et d’intervention précoce dans les troubles psychotiques (TIPP). Destiné à des personnes de 18 à 35 ans n’ayant jamais reçu de traitements au long cours, ce programme vise à intervenir dans la phase très précoce de la maladie afin de diminuer la durée de psychose non traitée. Il se construit autour de trois pôles : le pôle ambulatoire avec le médecin responsable du programme, le chef de clinique et un case manager, le pôle hospitalier avec une équipe médicale formée à la prise en charge des jeunes adultes, et une unité de suivi intensif dans le milieu (SIM) qui s’appuie sur des équipes mobiles qui interviennent au domicile du patient. 

Au coeur de ce dispositif, le case manager,qui peut être un psychiatre, un psychologue, ou un infirmier, est la personne clé puisqu’elle assure les liens entre l’hôpital, le domicile et les équipes mobiles. Chaque case manager clinique a 25 patients à sa charge et les suit pour une durée de trois ans. Les résultats de cette opération sont remarquables : temps d’hospitalisation réduit, suivi des patients à domicile, lien relationnel avec la structure médicale assuré par le case manager, prévention par l’information, implication du patient (seulement 9 % de rupture dans les soins après 36 mois d’hospitalisation).

Des entreprises canadiennes très mobilisées : l’exemple de Bell

Psychiatrie : quels modèles pour la France ? Canada

La compagnie Bell, première entreprise de télécommunications canadienne, s’est emparée du sujet de la santé mentale, afin d’en faire une thématique nationale. Traitant de la place de la santé mentale dans la société civile et au travail, son programme Let’s Talk, lancé en 2010, œuvre pour un meilleur accès aux soins et une augmentation des ressources allouées à la recherche. Ce programme a permis d’aborder la santé mentale de manière importante, en s’appuyant sur différents piliers : la lutte contre la stigmatisation avec des campagnes de sensibilisation (le Let’s Talk Day), l’accès aux soins par le financement de différentes organisations de soins de proximité, et le développement de la recherche en investissant dans des programmes d’excellence. 

En interne, c’est sur la santé mentale au travail quela société Bell a mis l’accent en construisant un programme de formation et d’information destiné à ses collaborateurs. Cette stratégie vise à favoriser une détection précoce des problèmes de santé mentale dans le milieu professionnel, pour mieux prévenir et réduire les arrêts de travail. En quelques années, l’entreprise a contribué à développer un standard national de santé psychologique et de sécurité sur le lieu de travail. 

Depuis 2010, près de 350 associations ont été soutenues par les fonds du Bell Let’s Talk, 4 200 professionnels (managers et syndicats principalement) ont été formés aux questions de santé mentale et plus de 640 000 personnes ont été soutenues. Autre résultat notable, 4 Canadiens sur 5 déclarent être désormais mieux informés sur les questions de santé mentale. A l’inverse en France, selon un sondage Ipsos de 2017, 8 Français sur 10 estiment que les employeurs n’en font pas suffisamment pour prévenir (79 %), informer (81 %) ou repérer un problème de santé mentale chez un salarié (77 %). 

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