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26/01/2022

Mobilité(s) : quelles trajectoires pour demain ?

Mobilité(s) : quelles trajectoires pour demain ?
 Marin Gillot
Auteur
Ancien chargé d’études

Pas de déflagration médiatique à la suite de la récente annonce de l’Organisation météorologique mondiale : les sept dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées, dans une indifférence relativement générale. Face à l’urgence climatique à l’origine de ces dérèglements, les candidats à l’élection présidentielle se contentent pour l’instant d’aborder (timidement) les enjeux énergétiques, sans toucher aux sujets de mobilité, pourtant déterminants pour nos concitoyens. Quelques semaines après la publication du rapport de l’Institut Montaigne intitulé Transports du quotidien : en route vers le sans carbone !, la parution de l’enquête Mobilité des personnes réalisée entre 2018 et 2019 par l’Insee ne souligne aucun changement de paradigme décennal en matière de mobilité et invite à engager une politique proactive de transformation sur ce sujet. 

En décembre dernier, l’Insee publiait pour la quatrième fois une vaste enquête sur la mobilité de nos concitoyens dans l’Hexagone. Au total, ce sont quelque 20 000 ménages de France métropolitaine qui ont été interrogés entre mai 2018 et avril 2019. Si les résultats de cette grande enquête, réalisée tous les dix ans, ne permettent pas de rendre compte de l’impact de la pandémie de Covid-19 sur les déplacements des Français, ils fournissent tout de même un vaste état des lieux de l’évolution des mobilités à travers le territoire. Bien loin d’être superflue, cette photographie est nécessaire, en cela qu’elle permet de comprendre le lien qui unit mobilité du quotidien et usage de la voiture en France. Ce constat est confirmé par de récentes études, qui soulignent la place prépondérante occupée par le transport dans l’empreinte carbone moyenne des Français. Plus particulièrement, selon Carbone 4, l’utilisation de la voiture représentait le premier poste d’émission moyen des citoyens en 2019. Pour faire face à la crise climatique annoncée, il convient donc d’encourager une modification profonde et durable des habitudes de mobilité des Français.
 
Face à ce constat, l’Institut Montaigne publiait au mois de décembre une étude ambitieuse arguant de la nécessité de décarboner les mobilités dîtes "du quotidien". À l’origine de 31 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) françaises, le secteur des transports est aujourd’hui le premier poste d’émissions en France. C’est aussi le seul qui n'a pas réduit ses émissions depuis 1990. Le poids démesuré occupé par le transport routier, responsable de 94 % de ces émissions, souligne le rôle des mobilités quotidiennes dans la hausse continue des émissions du secteur au cours des trente dernières années. Pour initier avec succès un processus de décarbonation dans le secteur des transports, il convient donc d’accompagner les citoyens dans la diversité de leurs habitudes et de nos territoires. C’est dans cette optique que l’étude de l’Institut Montaigne mettait en avant une série de 12 recommandations pour permettre de modifier durablement les habitudes de mobilité des Français. Les conclusions de l’enquête Mobilité des personnes confirment largement les diagnostics dressés dans le cadre de ce travail, en illustrant l’absence de changement de paradigme dans le secteur des mobilités au cours de la décennie écoulée et la pluralité des mobilités à l'œuvre sur le territoire national. 

En voiture ?

L’adoption par la Commission européenne du paquet législatif "Fit for 55", qui prévoit notamment l’interdiction progressive de vente des voitures thermiques à partir de 2035, est vouée à accélérer la décarbonation du transport routier. Pourtant, les Français restent aujourd'hui largement dépendants de leurs voitures. En 2017, un sondage piloté par l’Institut Montaigne, avec Kantar-TNS Sofres, indiquait que les Français étaient seulement 1 % à envisager de se séparer de leurs véhicules sans le remplacer. En 2019, une autre étude d’opinion révélait que 87 % de nos concitoyens utilisaient leurs voitures à l’occasion d’au moins un déplacement quotidien. Et pour cause, la route est vectrice de liens, aussi bien sociaux et économiques que culturels. L’étude menée par l’Insee confirme cette prégnance de la voiture dans notre quotidien, l’automobile restant le mode de transport le plus utilisé aujourd’hui, et de loin. En outre, si en 2019 62,8 % des trajets ont été effectués en voiture contre 64,8 % en 2008, il s’agit en fait d’une dynamique en trompe-l'œil. Dans le même temps, la distance parcourue en voiture a continué à augmenter. En effet, un déplacement en voiture durait en moyenne 19 minutes en 2019, soit 3 minutes de plus qu’en 2008. Les trajets effectués en voiture, certes moins fréquents, sont donc plus longs qu’il y a une dizaine d’années.

Le passage au tout électrique engagé à l’échelle européenne devra porter l’impératif d’un accès de tous les Français à des moyens de recharge. 

Face à cette primauté de la voiture dans nos déplacements du quotidien, le passage au tout électrique engagé à l’échelle européenne devra porter l’impératif d’un accès de tous les Français à des moyens de recharge. À ce titre, la proposition 12 du rapport Transports du quotidien : en route vers le sans carbone ! enjoignait la simplification de l’équipement en infrastructures de recharge de trois zones blanches prioritaires sur le territoire national. 

Ces zones blanches, identifiées comme étant les parkings des immeubles résidentiels collectifs, les stations-services sur autoroute et les parkings publics souterrains, souffrent souvent d’un déficit d’infrastructures pour des raisons économiques ou réglementaires. À l’heure où les ventes de voitures électriques dépassent pour la première fois les ventes de voitures diesel en Europe, cette recommandation doit permettre de mailler le territoire adéquatement pour ne pas freiner la pénétration du marché par le véhicule électrique et répondre à la hausse de la demande pressentie pour les années à venir. Elle vise ainsi à favoriser et accompagner une transformation profonde des habitudes de mobilité. 

L’enquête Mobilité des personnes fait apparaître une autre fracture dans l’utilisation de la voiture, cette fois d’ordre économique. En particulier, et comme c’était déjà le cas en 2008, le taux de motorisation des ménages des déciles supérieurs est environ deux fois plus élevé que celui des ménages du premier décile. Cette motorisation est pourtant encore rarement électrique, et ce même chez les ménages les plus aisés. Notre étude illustre ce phénomène en suivant la famille fictive des Bouvier qui habite Métroville, un hypercentre urbain densément peuplé. Comme dans l'agglomération parisienne, dont les habitants sont ceux qui se déplacent le plus quotidiennement, Guillaume et Pablo utilisent plusieurs modes de transport. Leur volonté de passage à l’électrique pour certains trajets sporadiques se heurte à la complexité d’installation de bornes de recharge électrique dans leur immeuble. 

Dès lors, il convient de simplifier les démarches liées à l’installation et au financement de la "colonne horizontale", l’infrastructure de raccordement commune à l’immeuble. En particulier, le rapport propose d’accompagner davantage, par des tiers-financeurs publics, les opérateurs privés qui gèrent aujourd’hui des réseaux de recharge privés sur abonnement dans les copropriétés, ou de laisser le financement de l’installation de l’infrastructure commune au gestionnaire de réseau de distribution d’électricité. L’idée est évidemment de supprimer les contraintes inutiles qui freinent aujourd’hui le passage à l’électrique même chez les ménages les plus riches.

L’idée est évidemment de supprimer les contraintes inutiles qui freinent aujourd’hui le passage à l’électrique.

En outre, la dépendance à la voiture est évidemment plus prégnante hors des grandes agglomérations. Si en 2019 la voiture était le mode de transport privilégié dans 79,5 % des cas en milieu rural, cela concernait 73,2 % des déplacements dans les agglomérations de moins de 20 000 habitants, 58,5 % dans celles qui comptaient entre 100 000 et 2 millions d’habitants et 33,3 % dans l’agglomération parisienne. Dans cette dernière, le net recul de la part modale de la voiture au cours des dix dernières années s’est accompagné d’un essor de l’usage des transports en commun. Cette fragmentation territoriale, bien identifiée par le rapport de l’Institut Montaigne, était au centre des propositions 7 et 10. La première d’entre elles soulignait la nécessité de développer des pôles d’échanges multimodaux routiers afin de favoriser l’intermodalité et l’utilisation des transports en commun. La seconde insistait quant à elle sur la nécessité d’accompagner le développement de solutions de covoiturage dans les zones où les transports publics pâtissent toujours d’un manque de développement. Ces mesures doivent, à terme, encourager un partage plus efficace des infrastructures publiques sur le territoire. 

Quatres roues plutôt que deux

Le premier enseignement de l’étude menée par l’Insee en matière d’utilisation des vélos n’en est pas un, s’agissant du constat de l’absence de corrélation entre niveau de revenu et pratique du vélo. Parmi les catégories socio-professionnelles empruntant le plus ce mode de transport, on retrouve pêle-mêle les "cadres et professions intellectuelles supérieures", les "chômeurs" ou encore les "étudiants". Les 10 % des ménages les plus riches se déplacent d’ailleurs moins à vélo que la moyenne des Français. Reste qu’à l’échelle nationale, la part modale occupée par le vélo n’a pas profondément évoluée depuis 2008, et que celle-ci reste faible. Ce mode de transport ne représentait que 2,7 % des déplacements en 2019. À titre de comparaison, c’était 9,1 % pour les transports en commun et près de 24 % pour la marche à pied, érigée en second mode de transport le plus utilisé par les Français. Si l’impact du plan Vélo, détaillé par le gouvernement dès 2018 et renforcé dans les années suivantes, n’est pas mesuré par l’enquête de l’Insee, il apparaît peu probable qu’il ait permis une remise en question de ces équilibres profondément ancrés dans les habitudes de mobilité des Français. Pourquoi alors cette pratique reste-t-elle boudée de nos concitoyens ? 

Les Français sont largement favorables à la promotion du vélo comme alternative à la voiture, au moins dans les grandes agglomérations.

Pour notre famille fictive des Bouvier, comme pour de nombreux métropolitains à travers la France, on retrouve la problématique de sécurité, l’absence de parcours cyclables aussi longs que sécurisés se faisant sentir. Chaque année, environ 150 Français meurent à vélo, moyen de transport dont la pratique se trouve de fait entachée par une image de vulnérabilité. Pourtant, les Français sont largement favorables à la promotion du vélo comme alternative à la voiture, au moins dans les grandes agglomérations. 

Ils étaient même 79 % à affirmer que le vélo devait être promu pour "agir sur l’environnement" en 2020. Pour sécuriser l’utilisation des deux-roues, la proposition 5 du rapport Transports du quotidien : en route vers le sans carbone ! proposait de rééquilibrer les usages de l’espace public routier et urbain en faveur des modes de transports à meilleure efficience. Cela passera notamment par la mise en place de voies réservées, à l’instar des quelque 1 000 kilomètres de pistes cyclables développées pendant la période du confinement en France.

Reste à s’assurer que ces voies réservées participent à la fluidification du transport en toute sûreté et dans le temps. C’est l’objet de la sixième proposition de notre rapport, qui avance le besoin de développer un guide d’aménagement cyclable harmonisé à destination des élus et des collectivités. Au-delà de la sécurisation des voies cyclables, ce guide doit encourager le dynamisme des collectivités territoriales sur la question, à l’heure où 42 % des Français utilisent encore la voiture pour se rendre sur un lieu de travail situé à moins d’un kilomètre de leur domicile. Si le recours au vélo a connu une progression de 25 % en 2020 à la faveur de la pandémie de Covid-19, les propositions de l’Institut Montaigne visent à pérenniser cette expansion, pour faire du vélo un outil de déplacement tout autant que de loisir quand cela est envisageable. L’impact de cette proposition est, de surcroît, loin d’être négligeable, la mise en place de cette proposition devant permettre d’éviter d’émettre entre 1 et 3 mégatonnes de CO2e à l’horizon 2030. 

D’autres leviers encore trop peu exploités

Le tableau dépeint par l’enquête 2019 Mobilité des personnes n’est pas fondamentalement différent de celui de 2008, à cela près qu’il semble signaler certains frémissements en matière de mobilité encore renforcés par la crise sanitaire. S’il apparaît que la voiture connaît un léger décrochage chez les 10 % des ménages les plus riches, cette tendance reste à confirmer. 

Par ailleurs, il convient d’encourager la transformation des mobilités au-delà des frontières de ce décile, et c’est précisément l’objet des cinq mesures avancées par l’Institut Montaigne en matière de partage des infrastructures publiques, d’accompagnement des autorités organisatrices de mobilités dans le pilotage de ces transformations et d’élimination des zones blanches prioritaires pour les infrastructures de recharge. Pour maximiser l’impact de ces mesures, il convient aussi de travailler de façon plus intelligente avec les entreprises, qui doivent pouvoir proposer un forfait mobilité simplifié et se voir encouragées à développer des plans inter-entreprises. 

Il convient de travailler avec les entreprises, qui doivent pouvoir proposer un forfait mobilité simplifié et se voir encouragées à développer des plans inter-entreprises.

Un travail proactif de la part des collectivités locales et des entreprises sera seul à même de faire évoluer la mobilité individuelle de nos concitoyens, qui reste encore largement dépendante de la voiture diesel. Prises ensembles et couplées à une politique vigoureuse en faveur d’une transformation de la logistique urbaine, ces mesures peuvent avoir un fort impact sur la réduction des nos émissions de GES à l’échelle nationale. Plus particulièrement, l’application des 12 propositions issues du rapport de l’Institut Montaigne pourrait permettre de prévenir l’émission de près de 25,2 mégatonnes de CO2e avant 2030. Ce n’est évidemment pas assez pour permettre à notre pays de respecter ses engagements et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. En revanche, cela peut permettre d’inscrire le secteur des transports dans une trajectoire vertueuse pour lui permettre de respecter son budget carbone tel que fixé par la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC). De surcroît, cette série de mesures s’ancre dans l’accompagnement plutôt que dans la contrainte, et devrait être largement plébiscitée par les Français. Après tout, l’objectif est bien d’accompagner chacune et chacun dans la transformation de ses habitudes, pour atteindre collectivement l’ambitieux objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. 

 

Copyright : Ludovic MARIN / AFP

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