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01/12/2020

L’importance - et les conditions - d’un plan de vaccination réussi

L’importance - et les conditions - d’un plan de vaccination réussi
 Nicolas Bauquet
Auteur
Expert en transformation publique
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé

Le gouvernement doit annoncer, cette semaine, les détails de sa stratégie vaccinale. Ces annonces feront suite à celles du président de la République qui a présenté, mardi 24 novembre, les prochaines étapes d’allègement du confinement. Comment préparer au mieux l’arrivée d’un vaccin dont l’impact économique et sanitaire pourrait être décisif ? Avant que ces nouvelles annonces ne soient faites, nous avons demandé à trois experts de l’Institut Montaigne leur point de vue. Eric Chaney, conseiller économique à l’Institut Montaigne, décrypte les enjeux économiques liés à un plan de vaccination réussi. Angèle Malatre-Lansac, directrice déléguée à la santé, analyse les conditions nécessaires pour relever le défi sanitaire. Nicolas Bauquet, directeur délégué à la recherche et à la transformation publique, revient quant à lui sur les besoins en matière d’organisation pour que ce plan vaccinal soit une réussite.

Eric Chaney, conseiller économique à l’Institut Montaigne - Un plan de vaccination réussi, garantie de reprise économique

La deuxième vague de la pandémie a probablement causé une nouvelle contraction de l’activité en France, au 4e trimestre. Le rebond devrait s’amorcer au mois de décembre et se prolonger en janvier avec la levée des dernières mesures restreignant l’activité économique, mais il sera loin d’effacer les pertes des deux mois précédents. Début 2021, l’économie française sera probablement encore 6 % en dessous de son niveau de la fin 2019, et 7 à 8 % en dessous de son niveau potentiel. Cette considérable sous-utilisation des ressources justifie une politique budgétaire de soutien et de relance de grande ampleur, déjà partiellement mise en œuvre par le gouvernement. Nous prônons d’ailleurs d’amplifier cet effort à court terme, de façon à limiter le plus possible les dégâts de la crise sanitaire.

Mais cela ne suffira pas à remettre notre économie sur le sentier de croissance dont elle a besoin pour se rapprocher du plein emploi et dégager les ressources nécessaires pour relever les grands défis de notre temps, la décarbonation de l’économie, l’investissement dans la recherche et l’innovation, les dépenses liées au vieillissement de la population et les dépenses de sécurité et de défense, pour citer les principaux. Comme la crise l’a bien montré, les "bienfaits" de la décroissance, ce sont un chômage accru, des inégalités sociales aggravées, une dette publique en hausse, la déqualification d’une partie de la population, et moins de ressources pour la recherche et l’innovation dédiées à la décarbonation.

Dès lors, comment retrouver le dynamisme dont notre économie a un besoin impératif ? Les Français ont accumulé une épargne financière supplémentaire de 141 Mds € sur les neuf premiers mois de l’année. Les entreprises interrogées par l’AFTE en novembre indiquaient que leurs flux de trésorerie d’exploitation étaient redevenus normaux - la liquidité ne manque donc pas. En revanche, les demandes de crédit d’investissement restent très faibles : seulement 15 % des PME et 6 % des TPE en ont émis au 3e trimestre, selon l’enquête de la Banque de France. Aucune relance budgétaire ne pourra durablement restaurer la confiance économique, cette vision positive de l’avenir qui incite les ménages à dépenser et les entreprises à investir. C’est seulement lorsque consommateurs et chefs d’entreprises anticiperont avec un degré suffisant de certitude que l’épidémie et avec elle les contraintes et incertitudes qu’elle entraîne, est sur le point d’être vaincue, qu’elle sera rétablie. En l’absence de traitement médical convaincant, seule l’immunité de la population peut y parvenir. Et puisque nos sociétés, de la Chine à la France ou à l’État du Kerala en Inde, ont jugé humainement intolérable d’y parvenir en laissant l’épidémie suivre son cours, seule la vaccination de masse peut y parvenir.

Début 2021, l’économie française sera probablement encore 6 % en dessous de son niveau de la fin 2019, et 7 à 8 % en dessous de son niveau potentiel.

Selon une analyse des économistes de Goldman Sachs, des campagnes de vaccination réussies - touchant donc au moins 60 % de la population - pourraient faire rebondir le PIB de la zone euro de 2,5 % au second semestre de 2021. Au sein de l’union monétaire, les pays les plus touchés par l’impact des politiques sanitaires et la chute de l’investissement, dont la France, pourraient même bénéficier d’un rebond plus important, image en miroir d’une chute de confiance plus importante.

À ce propos, notons que l’indicateur de confiance des industriels est remonté à sa moyenne historique en novembre en Allemagne, alors qu’il a rechuté en France assez nettement en dessous de sa moyenne de long terme. Au printemps, la chute avait été similaire dans les deux pays.

Maintenant que le Commission européenne a signé des accords de fournitures de vaccins auprès de cinq laboratoires pour la livraison de 2 milliards de doses, la balle est largement dans le camp des autorités nationales. D’ici quelques semaines, selon toute vraisemblance, les vaccinations pourront commencer. Il n’y a donc pas un moment à perdre pour affiner à la fois un plan de vaccination massif, et un plan de communication visant les indécis et les inquiets, en commençant par analyser et comprendre leurs motifs d’inquiétude. De la réussite de ce plan dépend, non seulement la puissance de la reprise de notre économie, mais aussi la restauration de l’image des politiques et de l’équipe au pouvoir en particulier. Il est bien clair dès à présent que cet événement historique pèsera lourd dans les choix électoraux des français en 2022.

Mais, pour le pays et leur bien également, souhaitons que nos dirigeants oublient un instant 2022. S’ils gardaient constamment l’œil sur l’horizon électoral, ils risqueraient de compromettre le contrôle de l’épidémie en France. Et, ce faisant, leurs chances pour 2022.

Angèle Malatre-Lansac, directrice déléguée à la santé de l’Institut Montaigne - Relever le défi sanitaire : Informer, cibler, associer, mesurer

L’organisation de la campagne de vaccination sera décisive pour sortir de la crise que nous traversons. En l’état actuel des connaissances et des capacités de production comme de distribution, une campagne de vaccination contre le coronavirus ne mettra pas fin à l’épidémie mais permettra de "vivre avec le virus" en évitant les formes graves et les décès, et ainsi la saturation de notre système de santé.

Pour réussir une telle campagne, plusieurs enjeux doivent être abordés de front : les enjeux de confiance et d’information, le ciblage des populations, la logistique d’approvisionnement, de stockage et de distribution, l’administration des vaccins, la pharmacovigilance.

Informer et communiquer pour regagner la confiance

On sait que les Français se distinguent des autres pays dans leur rapport très méfiant à la vaccination. À peine plus de la moitié d’entre eux (54 %) se disent aujourd’hui prêts à se faire vacciner contre le coronavirus. Le caractère exceptionnel de la pandémie tout comme l’accélération des processus de conception, de fabrication et d’évaluation du vaccin contre le Covid-19 constituent autant de facteurs de nature à renforcer la méfiance.

Afin d’inverser cette dynamique, le plan de vaccination devra s’appuyer sur une campagne d’information et de communication à au moins trois niveaux :

  • Une campagne nationale de grande ampleur, élaborée par des professionnels de la communication en lien avec des instances représentatives des citoyens et s’appuyant sur des messages harmonisés et des relais d’information nombreux ;
  • Une campagne ciblée à destination des professionnels de santé, en ville comme en établissements, et notamment des médecins généralistes qui restent les interlocuteurs de confiance de la grande majorité des Français ;
  • Une campagne dédiée aux associations qui travaillent avec les publics précaires dont l’accès aux soins de prévention est très réduit (SDF, demandeurs d’asile, personnes isolées, etc.).

Cibler les publics prioritaires

Il existera sans aucun doute une tension forte autour de l’approvisionnement en vaccins et la population ne pourra pas être vaccinée dans son ensemble avant plusieurs mois. Il est donc nécessaire de cibler les personnes les plus exposées au virus et les plus vulnérables face à la maladie.

La Haute autorité de santé a rendu un avis dans lequel elle définit une stratégie en cinq phases :

À peine plus de la moitié [des Français] (54 %) se disent aujourd’hui prêts à se faire vacciner contre le coronavirus.

  1. les publics les plus prioritaires seront les résidents des EHPAD et les professionnels y travaillant et présentant une vulnérabilité particulière (moins d’un million de personnes) ;
  2. les plus fragiles et les plus âgés hors EHPAD seront ciblés dans la deuxième phase, ainsi que les professionnels de la santé et du médico-social de plus de 50 ans (environ 15 millions de personnes) ;
  3. l’ensemble des professionnels de santé et du médico-social non vaccinées et les personnes entre 50 et 65 ans présentant des comorbidités
  4. les personnes précaires, celles vivant en collectivité et les professionnels travaillant avec eux ;
  5. toute la population adulte. Les mineurs et les femmes enceintes ne sont pas touchés par le dispositif.

Organiser une campagne de vaccination exceptionnelle

Cette campagne devra s’appuyer sur l’ensemble des ressources disponibles avec une approche souple et pragmatique.

Le recensement des capacités vaccinales et des professionnels de santé constitue un préalable indispensable, de même que l’activation de la réserve sanitaire sur chaque territoire et la formation des professionnels à une campagne de vaccination de masse.

Deux enjeux doivent être traités de front :

  • d’une part, le renforcement de l’offre ambulatoire de vaccination en association avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS). Il faut proposer une vaccination au sein des parcours de soins et en ville afin de coller au plus près des préférences des usagers. La médecine générale doit à cet égard être fortement mobilisée pour éviter les écueils de la campagne de vaccination H1N1 ;
  • d’autre part l’organisation d’une offre vaccinale en établissements de santé publics comme privés.

De plus, le renforcement des services de médecine préventive (médecine universitaire, médecine du travail notamment) seront importants lorsque les populations actives et plus jeunes pourront être vaccinées.

Remontée et traçabilité des données

La vaccinovigilance sera d’une importance cruciale pendant la campagne de vaccination, notamment parce que les vaccins utilisés seront récents mais aussi afin d’assurer une information de qualité et un pilotage par la donnée.

La surveillance sur le long cours et la remontée d’indicateurs précis seront nécessaires au bon suivi de la planification, la mise en œuvre, l'évaluation et la modification des programmes de vaccination. De plus, la remontée d’information en temps réel permettra de générer des données sur l’efficacité réelle et la sécurité des vaccins distribués.

Nicolas Bauquet, directeur délégué à la recherche et à la transformation publique - Quels ingrédients organisationnels pour réussir le plan de vaccination ?

Les pouvoirs publics se trouvent aujourd’hui face à un double défi : d’un côté, un défi d’organisation, pour mettre sur pied une opération logistique et sanitaire de grande ampleur, d’un fort degré de complexité, et marquée par une forte incertitude ; de l’autre, un défi de communication, pour convaincre une large partie de la population de participer à la campagne de vaccination. En fait, ces deux défis vont de pair, et imposent trois priorités, à la lumière des leçons qui peuvent être apprises de la gestion de la crise pandémique pendant sa première phase.

La première de ces leçons, c’est d’inclure tous ceux qui pourront contribuer à cet effort dans un dispositif clair où l’État rassemble pour jouer son rôle de chef d’orchestre, et pas d’homme à tout faire. Cela concerne en premier lieu les grands acteurs du secteur privé, appelés à jouer un rôle majeur dans cette opération, qu’il s’agisse des entreprises pharmaceutiques qui vont produire le vaccin, à court ou moyen terme, des spécialistes de la logistique, ou de celles du numérique, pour organiser le suivi dans le temps des opérations vaccinales. Cela vaut aussi pour les collectivités locales, qui viennent de faire part de leur volonté de s’impliquer dans cette bataille. Cela concerne enfin la société civile, et notamment les grandes associations de sécurité civile, qui seront nécessairement mobilisées, et ne devraient pas l’être comme des supplétifs.

La première de ces leçons, c’est d’inclure tous ceux qui pourront contribuer à cet effort dans un dispositif clair où l’État rassemble pour jouer son rôle de chef d’orchestre, et pas d’homme à tout faire.

La priorité du dispositif gouvernemental devrait être d’associer tous ces partenaires le plus en amont possible, en leur offrant des interlocuteurs clairement désignés, en organisant des réunions régulières, selon un processus itératif permettant l’échange des informations et l’élaboration des solutions. Ce qui peut, au milieu d’un sentiment d’urgence, paraître comme une perte de temps ou un facteur de dispersion, est au contraire la clé d’une mobilisation rapide, efficace et adaptable en fonction de l’évolution de l’environnement, et des choix opérés par l’exécutif.

La deuxième leçon, c’est que pour que l’État puisse exercer ce leadership qui inspire la confiance, il doit s’appuyer sur une structure interministérielle forte, au niveau de Matignon, ou au niveau du Centre interministériel de crise. Il va de soi que, s’agissant d’une opération de vaccination, le ministère de la Santé a un important rôle à jouer, dans la conception, puis la mise en œuvre de cette campagne, en lien avec l’ensemble des acteurs du système de santé. Mais une telle entreprise mobilisera bien d’autres départements ministériels : les Transports, l’Outre Mer, la Défense, et bien sûr le ministère de l’Intérieur. Au-delà des réunions régulières qui peuvent avoir lieu autour du chef de l’État ou du Premier ministre, seule une cellule puissante, capable de travailler de manière transversale et réellement coordonnée avec tous les ministères, peut assurer un pilotage de l’opération propre à inspirer la confiance des partenaires comme des citoyens.

Enfin, cette organisation interministérielle doit pouvoir s’appuyer sur un pilotage territorial clair dans chaque département, organisé autour du préfet, s’appuyant sur les délégations territoriales des ARS, mais aussi sur les services départementaux d’intervention et de secours (les pompiers), en lien étroit avec les collectivités locales, les associations, et bien sûr les professionnels de santé.

Pour mener à bien cette opération essentielle, il ne s’agit pas de copier un modèle étranger, mais de s’appuyer sur nos atouts, et d’abord sur un État présent partout, capable d’exercer un leadership décisif s’il choisit de s’appuyer sur les acteurs qui attendent aujourd’hui de se lancer dans l’aventure. Si la campagne de vaccination repose sur cet élan collectif, et fait la preuve d’une organisation solide, elle aura déjà gagné une manche décisive dans la bataille de la confiance.

 

 

Copyright : Ludovic MARIN / AFP

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