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13/03/2023

Les politiques de l’hydrogène dans le monde : Le Japon et sa société de l’hydrogène

Les politiques de l’hydrogène dans le monde : Le Japon et sa société de l’hydrogène
 Joseph Dellatte
Auteur
Expert Résident - Climat, énergie et environnement

À la suite de la publication de la note d’enjeux Politique de décarbonation industrielle : les multiples défis de l'hydrogène, l’Institut Montaigne propose un éclairage comparatif à travers une analyse des stratégies hydrogène du Japon et de la Chine. Dès 2014, le Japon a mis en avant une stratégie visant à faire du pays une “société de l’hydrogène”. Joseph Dellatte, Research Fellow Climat, Énergie et Environnement au sein du programme Asie de l’Institut, analyse la manière dont l’archipel entend utiliser cette molécule pour décarboner de larges pans de son économie, et souligne la spécificité du cas japonais, qui mise sur un modèle d’importation massive d’hydrogène par voie maritime.

Une stratégie ambitieuse

Le Japon a été le premier pays au monde à réfléchir à une véritable stratégie de l’hydrogène. Cette stratégie devait, à l’origine, répondre au double problème posé par la nécessaire  décarbonation du pays et par la nécessité de trouver une voie de sortie à l’impasse dans laquelle se trouvait sa politique énergétique depuis 2011 et la catastrophe de Fukushima Daiichi, qui avait entraîné le renoncement à l’énergie nucléaire. Trois ans après la catastrophe, en 2014, son Premier ministre d’alors, Shinzo Abe, engageait le Japon à se positionner comme une véritable “société de l’hydrogène”.

La société de l'hydrogène japonaise s’articule autour de la perspective d'un futur système énergétique dans lequel l'hydrogène jouerait un rôle central en tant que vecteur d'énergie pour l’ensemble de l’économie japonaise. Cette société de l'hydrogène entend s’appuyer sur trois piliers principaux : stimuler la demande, créer une offre abondante, et faire émerger le plus rapidement possible une chaîne d’approvisionnement internationale résiliente. Or d’emblée, cette stratégie a été qualifiée par de nombreux experts de contre-exemple à ne pas suivre, essentiellement pour sa vision beaucoup trop optimiste des applications qu’il est possible de confier à l’hydrogène.

L'objectif ultime de la société de l'hydrogène réside dans la création d’un système autonome dans lequel l'hydrogène est produit et utilisé à grande échelle.

Dans la conception du gouvernement japonais, l'objectif ultime de la société de l'hydrogène réside dans la création d’un système autonome dans lequel l'hydrogène est produit et utilisé à grande échelle, ce qui est censé permettre, dans cette approche, de réduire le coût de production et de faire de l'hydrogène une source d'énergie largement adoptée et compétitive par rapport à ses alternatives fossiles. Il ne s’agit néanmoins pas d’une politique de l’hydrogène vert. En effet, elle table à l’origine sur l’abondance de l’hydrogène, qu’il soit vert (produit à partir d’énergie renouvelable), bleu (fossile avec capture et stockage du CO2), ou même brun (produit à partir d’énergie fossile).

Le Japon mise pour cela sur le fait de maximiser l’importation par voie maritime d’hydrogène liquide ou d’ammoniaque et s’éloigne ainsi considérablement d’une vision principalement fondée sur la production nationale à partir d’électrolyseurs et d’énergie renouvelable.

Au-delà des critiques, la stratégie japonaise de l’hydrogène, et en particulier la façon dont le Japon envisage, par la force des choses, l’importation de l’hydrogène par voie maritime, constitue un exemple comparatif intéressant pour l’Europe et sa propre stratégie hydrogène. En effet, bien que les deux régions divergent en termes de potentiel de production d’hydrogène décarboné et ne conçoivent pas le rôle de l’hydrogène dans leur économie de la même façon, l’Europe et le Japon se retrouvent dans un point commun essentiel : ce sont deux économies industrialisées, riches, et qui auront chacune besoin d’importer de l’hydrogène pour atteindre leurs objectifs de neutralité carbone.

Politiques mises en place

Le Japon discute piles à combustible - une pile électrochimique qui convertit en électricité l'énergie chimique d'un combustible (l’hydrogène) et d'un agent oxydant (l'oxygène) - et développement de l’hydrogène à travers des feuilles de route régulièrement mises à jour depuis 2014. Le concept de société de l'hydrogène, qui s’apparente à une stratégie hydrogène complète, a lui été adopté par le ministère japonais de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie (METI) en 2017. Cette politique a aussitôt été présentée comme un axe cardinal des efforts déployés par le pays pour réduire sa dépendance aux combustibles fossiles.

Ces politiques s’organisent autour de subventions ciblant les projets liés à l'hydrogène, d’incitations fiscales pour les entreprises qui investissent dans les technologies de l'hydrogène et de l'établissement de chaînes d'approvisionnement internationales. Elles comprennent également des objectifstrès précis de réduction des coûts de production de l’hydrogène à horizon 2030 et 2050, avec pour ambition affichée de faire descendre le coût de la molécule d’hydrogène au niveau du prix de la molécule de gaz naturel liquéfié (GNL). Le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI) est le principal financeur, le ministère de l’Environnement (MOEJ) promeut la transition vers les technologies de l’hydrogène au niveau individuel (dimension sociale) et le ministère des Transports (MLIT) finance la transition vers l’hydrogène du secteur maritime et plus largement des transports.

Depuis 2017, la stratégie japonaise a été amendée par de nombreux textes, faisant évoluer la façon dont le Japon façonne sa société de l’hydrogène. Ces textes sont présentés dans le menu déroulant suivant. Une nouvelle réforme est attendue pour 2023 et pourrait répondre en partie aux critiques émises jusqu’ici à l’égard de l’approche japonaise. En faisant abstraction de la réforme à venir, deux phases distinctes se dégagent dans l’élaboration de la stratégie japonaise : une période où l’hydrogène est pensé comme une “solution miracle”, de 2017 à 2019, et une période de tests “grandeur réelle”, de 2019 à aujourd’hui.

2017

2018

  • Cinquième plan stratégique pour l'énergie : engagement à devenir une “société de l’hydrogène”, mesures pour stimuler les chaînes internationales d'approvisionnement en hydrogène
  • Déclaration de Tokyo : déclaration commune de trente pays (dont les États-Unis et l’Union européenne), encourageant la coopération en matière de R&D et de réglementation sur l'hydrogène et prenant des engagements en matière d'évaluations écologiques et économiques sur l'hydrogène
     

2019

2020

  • Stratégie de croissance verte pour l’atteinte de la neutralité carbone: Le Japon se fixe comme objectif d’être neutre en carbone d’ici à 2050 et propose des mesures de réduction des coûts et une réforme réglementaire pour le développement de l’hydrogène à grande échelle
    • Budget METI : 70 milliards de yens (465 millions d’euros)
    • Budget MOEJ : 6,58 milliards de yens (45,56 millions d’euros)
       

2021

2022

  • Rapport intérimaire pour l’énergie propre : proposition d’une feuille de route visant à renforcer la sécurité énergétique du Japon et ses efforts de décarbonation en développant rapidement le soutien aux énergies vertes afin d’atteindre l’objectif de neutralité en 2050. Cette feuille de route estime que le Japon doit investir 150 trillions de yens sur 10 ans (17 trillions pour l’année 2030). L’investissement nécessaire est estimé à 300 milliards de yens par an pour l’hydrogène, soit 21 milliards d’euros.
    • Budget METI : 47,81 milliards de yens (330,46 millions d’euros)
    • Budget MOEJ : 6,58 milliards de yens  (45,56 millions d’euros)
    • Budget MLIT : 2,9 milliards de yens (20,04 millions d’euros)
       

2023

  • Nouvelle politique (attendue pour avril)
    • Budget METI : 68,2 milliards de yens (471,53 millions d’euros)
    • Budget MOEJ : 7 milliards de yens (48,34 millions d’euros)
    • Budget MLIT : 0,91 miliard de yens (6,28 millions d’euros)

 

Premier Pilier - Des politiques de soutien à la demande en hydrogène

Le premier pilier de la société japonaise de l’hydrogène réside dans une politique de la demande qui consiste à favoriser l’utilisation de l’hydrogène comme carburant de remplacement holistique pour toute une série d'applications, notamment les processus industriels, le transport, les piles à combustible pour les véhicules, mais également le chauffage individuel et la production d'électricité (d’abord en co-combustion dans des centrales à gaz ou à charbon pour diminuer leurs émissions, ensuite via des centrales thermiques uniquement alimentées en hydrogène). L'objectif ultime est ici de créer un marché pour l'hydrogène qui fera baisser le coût de production et encouragera de nouveaux investissements dans cette technologie. Cette politique de la demande fixe des objectifs et dégage des ressources financières pour le développement de nouvelles technologies et la construction de nouvelles installations consommatrices d’hydrogène, comme explicité ci-dessous avec, pour chaque secteur, l’objectif visé et les montants alloués (1 euro= 142,5 yens).

  • Véhicules électriques à pile à combustible (FCEV) : développer une flotte de véhicules légers et lourds propulsés à l’hydrogène et réduire les prix
    • Cible visée : 200 000 véhicules en 2025 ; 800 000 en 2050 ; avec un différentiel de prix de - 77 % par rapport à un véhicule hybride (2025)
    • Subventions : 13 milliards de yens (2020) ; 15,5 milliards de yens (2021) ; 15,5 milliards de yens (2022) ; 43,03 milliards de yens (2023 / avec station de rechargement)

 

  • Bus à pile à combustible : développer une flotte de bus à hydrogène et réduire le prix des véhicules
    • Cible visée : 1200 en 2030 ; baisse de 50 % des coûts de production (2020)
    • Une partie des subventions dédiée aux FCEV

 

  • Stations de rechargement d’hydrogène : créer un réseau de stations de rechargement d’hydrogène maillant tout le pays
    • Cible visée : 320 en 2025 ; 900 en 2030 ; baisse de 43 % des coûts de construction et de 56 % des coûts d’exploitation (2020)
    • Subventions : 12 milliards de yens (2020) ; 11 milliards de yens (2021) ; 9 milliards de yens (2022) ; 43,03 milliards de yens  (2023/ avec FCEV)

 

  • Production d’électricité : commercialisation d’électricité produite à partir d’hydrogène en 2030 (en co-combustion dans les centrales à gaz ou à charbon)
    • Cible visée : réduire le coût unitaire à 17 yens par kWh (2030) ; améliorer l'efficacité énergétique en la faisant passer de 26 à 27 % (2020)

 

  • Pile à combustible (FC) : atteinte de la parité réseau (prix de l’énergie inférieur ou égal au prix du marché de l’électricité) le plus rapidement possible et à horizon 2025 pour les usages commerciaux et industriels
    • Cible visée : 5,3 million d’unités de chauffage (2030)
    • Subventions pour la R&D : 5,24 milliards de yens (2020) ; 7,91 milliards de yens (2022) ; 8,4 milliards de yens (2023)

 

  • Usages industriels : lancement de projets de recherche sur le recours à l’hydrogène sans carbone dans les processus industriels autres que la pile à combustible
    • Subventions : 7,31 milliards de yens (2021) ; 6,58 milliards de yens (2023)
    • Subventionspour l’utilisation de l’hydrogène dans la sidérurgie : 2,8 milliards de yens (2021) ; 7,31 milliards de yens (2022)

 

  • Secteur maritime : développement des technologies de l’hydrogène pour la décarbonation du secteur maritime
    • Subventions : 2,9 milliards de yens (2022)

 

Deuxième pilier - Des politiques pour garantir l’offre en hydrogène

Le deuxième pilier de la société de l’hydrogène est une politique de l’offre qui consiste à promouvoir une production abondante d'hydrogène, à partir de toutes les sources possibles dans un premier temps : des énergies renouvelables comme l'énergie solaire et éolienne, mais également fossiles (gaz, charbon) avec l’utilisation des technologies de capture du CO2. La stratégie japonaise se fonde très largement sur l’importation d’hydrogène décarboné. En matière de production domestique d’hydrogène vert, il n’existe d’ailleurs pas au Japon d’objectif quantitatif gravé dans le marbre. Au contraire, les objectifs fixés par le gouvernement japonais sont des objectifs de prix. Ces choix de politiques publiques laissent transparaître une volonté d’aller chercher d’emblée l’hydrogène décarboné là où il sera le moins cher, donc a priori auprès de producteurs étrangers. Les investissements sont donc réalisés dans les infrastructures et dans le développement des technologies qui seront nécessaires à la production, tant au Japon qu'à l’étranger.

Cette politique de l’offre s’articule autour des quatre points suivants.

  • Infrastructures : projets de R&D pour la construction d'une infrastructure d'approvisionnement en hydrogène à faible coût utilisant la technologie de l'hydrogène à ultra-haute pression
    • Subventions R&D : 3 milliards de yens (2020) ; 3,2 milliards de yens (2021) ; 3,08 milliards de yens (2022) ; 1,32 milliards de yens (2023)
       
  • Hydrogène brun - produit à partir d’énergie fossile : baisser les coûts de production
    • Objectif coût : 133,51 yens par kilogramme d’hydrogène (KgH2) en 2020
       
  • Hydrogène bleu - produit à partir d’énergie fossile avec captage et stockage du carbone : développer les technologies de captage et de stockage du carbone et baisser les prix de production de l’hydrogène bleu et brun
    • Objectif coût : 333,77 de yens par KgH2 (2030) ; 222,51 de yens par KgH2 (2050)
    • Capacité de stockage : 50 000 m3 (2020), dans des puits de carbone
    • Subventions : 1,26 milliards de yens (2022) ; 0,7 milliard de yens (2023)
       
  • Hydrogène vert : augmenter la production d’hydrogène vert ; baisser les coûts
    • Objectif coût : baisser les coûts de l’électrolyse à 50 000 yens/KWh
    • Objectif pour les électrolyseurs : baisse de 75 % des coûts des électrolyseurs (2030) ; augmentation de l’efficacité énergétique (14 % de perte en moins)
    • Subventions : 14,12 milliards de yens (2020) ; 4,75 milliards de yens  (2021) ; 3,05 milliards de yens (2022)

 

Troisième pilier - Des partenariats pour faire émerger des chaînes d’approvisionnement internationales

Ce troisième pilier de la société de l’hydrogène est critique pour la stratégie japonaise car il concerne les modalités d’importation. En effet, le Japon a un potentiel limité de production d’énergie renouvelable à bas coût - et si le pays présente un grand potentiel de production éolien offshore flottant, le coût en est élevé. Le Japon entend donc faire émerger des chaînes d’approvisionnement internationales en hydrogène pour importer son énergie décarbonée depuis l’étranger.

Sur un plan national, ce pan de la politique japonaise de l’hydrogène cherche dans un premier temps à augmenter l’efficacité de la liquéfaction de l’hydrogène (baisse de 56 % des coûts en 2020) et à rendre l'importation de l’hydrogène liquéfié plus compétitive. Pour ce faire, le gouvernement japonais déploie déjà des investissements conséquents - 14,12 milliards de yens en 2020 et 8,87 milliards de yens en 2023 - et se fixe pour objectif d’importer annuellement 3 millions de tonnes d’hydrogène pour 2030 (contre 2 millions de tonnes en 2022), et entre 5 et 10 millions de tonnes d’hydrogène pour 2050. À titre de comparaison, l’objectif brandi par la Commission européenne est d’importer 10 millions de tonnes en 2030. Ces objectifs, pris ensemble et sans compter l’effet des stratégies hydrogène d’autres acteurs (États-Unis, Chine), sont de nature à faire augmenter la demande mondiale en hydrogène et à faire naître, à terme, un important marché mondial de l'hydrogène décarboné.

Le gouvernement japonais cherche aussi à promouvoir la coopération internationale en matière de développement et de déploiement des technologies liées à l'hydrogène. Cette ambition passe également par une politique de soutien aux entreprises japonaises opérant à l’étranger. L’importance accordée par le Japon à la dimension internationale de l’hydrogène est lancée en 2018 avec la Déclaration de Tokyo, qui a ouvert la voie à la création de partenariats avec des pays riches en potentiel renouvelable ou en ressources fossiles comme l’Australie ou l’Inde, notamment en matière de recherche et de développement, de partage des meilleures pratiques, et d'élaboration de normes et de règles communes.

Le Japon et l’UE présentent ici une convergence d’intérêt :  tous deux ont beaucoup à gagner à  faire émerger une chaîne d’approvisionnement internationale en hydrogène vert. Ils entretiennent ainsi des relations de coopération de plus en plus étroites et s'attèlent à construire une chaîne d’approvisionnement mondiale. Sur ces questions, le Japon et l’UE s’engagent déjà à travailler ensemble de manière régulière à l'amélioration d'un commerce international de l’hydrogène fiable et fondé sur des règles, sur des marchés ouverts et sur l'absence de restrictions à l'exportation. Ils collaboreront en vue de l'élaboration de normes permettant de qualifier l'hydrogène de "renouvelable" ou de "à faible teneur en carbone" et en faveur de la certification associée. Ce dernier enjeu est crucial pour ces deux exportateurs.

De son côté, le Japon signe également depuis plusieurs années de nombreux mémorandums et autres accords de coopération. La liste des pays avec lesquels le Japon souhaite coopérer est longue et couvre les différents aspects de l’émergence d’une économie mondiale de l’hydrogène. L’Australie est considérée comme le candidat le plus sérieux pour devenir le principal fournisseur d’hydrogène du Japon.

Coopération Japon-Union européenne sur l’hydrogène

Union européenne-États-Unis-Japon

Australie

  • The Hydrogen Energy Supply Chain project(HESC) (2022)
    • Type d’hydrogène : bleu
    • Projet pilote mené par des entreprises australiennes et japonaises et soutenu financièrement par les gouvernements japonais et australien, il visait à produire de l'hydrogène brun et l’acheminer jusqu'à Kobe au Japon.
  • Japan-Australia Clean Hydrogen Trade Program (2022)
    • Type d’hydrogène : vert
    • Exportation par l'Australie d'hydrogène vert liquéfié au Japon pour un montant à hauteur de 150 millions de dollars australiens (93 millions d’euros)
  • Japan-Australia Partnership on Decarbonisation through Technology (2021)
    • Type d’hydrogène : non spécifié (tous)
    • Renforcement de la coopération entre les deux pays (et les pays de l’ASEAN) pour atteindre la neutralité carbone par le biais d'initiatives conjointes visant à stimuler les technologies à faible émission, y compris l'hydrogène propre
  • Joint Statement on Cooperation on Hydrogen and Fuel Cells (2020)
    • Type d’hydrogène : non spécifié (tous)
    • Engagement nippo-australien en faveur d’une collaboration et d’un partage des meilleures pratiques dans les domaines suivants : élaboration d'un cadre réglementaire ; production, livraison et stockage de l'hydrogène ; promotion de la R&D pour la technologie de l'hydrogène et des piles à combustible ; et mesures incitatives pour inviter l'industrie à se tourner vers l'hydrogène
    • Mention d’une mise en place possible de certificats d'hydrogène propre comme un domaine de coopération entre les deux pays
  • Memorandum of Cooperation on Energy and Minerals Cooperation (2019)
    • Type d’hydrogène : non spécifié (tous)
    • Identification des domaines de coopération Australie-Japon dans le secteur de l'énergie et des ressources, y compris la création de chaînes d'approvisionnement en hydrogène, l’accélération de la R&D et du développement technologique de l'hydrogène, et le développement des marchés de l'hydrogène

Nouvelle-Zélande

  • Memorandum of Cooperation on hydrogen (2018)
    • Type d’hydrogène : non spécifié (tous)
    • Coopération entre la Nouvelle-Zélande et le Japon sur le développement des technologies de l'hydrogène et de projets pilotes

ASEAN

  • ASEAN-Japan Economic Cooperation in the Post-Pandemic Era (2022)
    • Type d’hydrogène : bleu
    • Définit une série de plans d'investissement japonais de grande envergure dans la région de l’ASEAN, dont des engagements spécifiques à soutenir les technologies de décarbonation comme l'hydrogène

Indonésie

Singapour

  • Memorandum of Cooperation on low-emissions solutions (2022)
    • Type d’hydrogène : non spécifié (tous)
    • Définit l'hydrogène et les vecteurs énergétiques basés sur l'hydrogène comme une source de coopération prioritaire, avec des engagements pris pour développer le partage d'informations, explorer les possibilités de coopération en matière de réglementation et de mise en place de normes internationales, et envisager une coopération en matière de R&D

Thaïlande

Vietnam

Canada

  • Mémorandum sur la coopération dans le domaine de l'énergie entre le Japon et le Canada (2019)
    • Type d’hydrogène : non spécifié (tous)
    • Focalisation sur les techniques de capture et stockage du carbone, notamment pour l’hydrogène

Pays du Quad (États-Unis, Australie, Japon, Inde)

Émirats arabes unis

Russie

 

Une stratégie lourdement critiquée

La société de l’hydrogène japonaise est sévèrement critiquée par de nombreux experts tant au Japon qu’à l’étranger. Les critiques se concentrent majoritairement sur trois de ses spécificités.

L’approche japonaise a d’abord été accusée de créer une décarbonation de façade : cette stratégie est considérée comme trop restrictive en cela qu’elle concentrerait les efforts du Japon sur l’hydrogène au détriment de la décarbonation des autres pans de son mix énergétique.

Ensuite, est pointée du doigt l’intention japonaise supposée de faire primer la sécurité de l’approvisionnement en hydrogène sur l’enjeu climatique. En effet, le pays cherche d’abord à créer un marché de l’hydrogène, qui inclut de l’hydrogène produit à partir d’énergie fossile, et n'engage que dans un second temps la décarbonation de ce marché. Autrement dit, cette stratégie autorise la fabrication d’hydrogène produit à partir d’énergies fossiles. Ce n’est pas étonnant : le Japon cherche à accélérer la création de chaînes d’approvisionnement internationales en hydrogène pour s’assurer une offre abondante à prix bas. Cette stratégie est, à raison, jugée comme un non-sens écologique et économique par la plupart des experts. Enfin, le choix du recours à l’ammoniaque ou à l’hydrogène dans les centrales à charbon japonaises pour en réduire les émissions est considéré comme un moyen détourné de différer la fermeture de ces centrales polluantes.

Finalement, un dernier ensemble de critiques porte sur le fait que le Japon mette en avant l’utilisation de l’hydrogène pour des applications irréalistes là où d'autres technologies comme l’électrification, les pompes à chaleur ou les batteries seraient plus compétitives. Cela est notamment visible dans le choix opéré par le gouvernement japonais visant à miser sur l’hydrogène pour le chauffage individuel - considéré comme une absurdité énergétique par rapport à ses alternatives comme la pompe à chaleur - et surtout, d’investir lourdement dans les véhicules à pile à combustible. Ce sujet, hautement sensible au Japon d’un point de vue politique, est conforme au souhait des principaux industriels japonais du secteur automobile, à l’image de Toyota. Il est pourtant à contre-courant d’une tendance globale de plus en plus favorable aux batteries pour les voitures individuelles.

Les fondements géopolitiques et industriels de la stratégie japonaise

Les motifs justifiant les choix stratégiques du Japon sur l’hydrogène sont multiples et le gouvernement japonais a d’ailleurs fait sensiblement évoluer sa stratégie avec le temps. Le Japon présente tout d’abord une très grande résistance aux changements de système énergétique, notamment du fait des conséquences de la catastrophe de Fukushima Daiichi, sous l’effet de laquelle l’énergie nucléaire a été délaissée au profit d’un retour à des énergies émettrices comme le gaz et le charbon. Cette résistance, de manière contre-intuitive, a retardé la prise de décision politique en faveur d’une transition vers le renouvelable et a longtemps paralysé le recours à l’énergie nucléaire pour des raisons politiques, ce qui a eu un impact sur la capacité japonaise de production de l’hydrogène décarboné.

Ensuite, l’approche japonaise se fonde sur une conception idéalisée de l’hydrogène en tant qu’instrument capable de remplacer de manière adéquate les combustibles fossiles, tant le gaz que le pétrole, dans le système énergétique actuel. Cette conception ne prend pas suffisamment en compte la faible efficacité énergétique de l’hydrogène par rapport à d’autres technologies en matière d’usages individuels (chauffage, transport, etc.). Elle voit au contraire l’hydrogène comme un moyen permettant d’éviter une transformation trop fondamentale de la vieille vision de la politique énergétique du pays et une façon d’éviter d'avoir à répondre aux problèmes de stockage et de rechargement des batteries inhérents à la transition énergétique.

L’ambition derrière la société de l’hydrogène japonaise repose également sur un enjeu politico-industriel majeur pour le pays. Elle trouve son origine dans le pari réalisé par les instances dirigeantes de Toyota, principal industriel du Japon, de miser essentiellement sur les véhicules propulsés à la pile à combustible (FCEV) plutôt que sur les véhicules électriques à batteries. Développé depuis le début des années 1990, son premier modèle de voiture à pile à combustible est commercialisé par Toyota dès 2014. Ce pari coûteux, soutenu sur le long terme par les instances dirigeantes du constructeur japonais, ajoute un enjeu industriel majeur à la stratégie japonaise de l’hydrogène qui se doit, politiquement, de soutenir les décisions de son tissu industriel.

Elle voit l’hydrogène comme un moyen permettant d’éviter une transformation trop fondamentale de la vieille vision de la politique énergétique du pays.

 

Cette vision de l’hydrogène trouve également ses fondements dans des défis considérés comme politiquement cruciaux pour l’avenir du pays. Premièrement, du fait du caractère limité de ses surfaces disponibles, le Japon ne bénéficie pas d’un potentiel d’installation de capacité renouvelable à coût compétitif suffisant pour répondre à la totalité de ses besoins en énergies décarbonées. Cette fatalité de la rareté, couplée au traumatisme post-Fukushima Daiichi sur le nucléaire, se cristallise donc par un besoin inévitable d’importer cette énergie décarbonée afin d’assurer la sécurité énergétique du pays - qui plus est dans un contexte où il ne sera plus possible de miser sur les énergies fossiles. Le modèle d’importation d’hydrogène sous forme liquide (ammoniaque ou autre) évoque d’ailleurs avec nostalgie l’époque où le Japon était le pionnier du développement et du transport du GNL.

Le gouvernement japonais regarde également avec suspicion toute dépendance croissante envers ses fournisseurs étrangers, surtout la Chine,pour son approvisionnement en technologies renouvelables (solaires, batteries) nécessaires à sa décarbonation. Les autorités japonaises considèrent que le Japon a davantage intérêt à importer un maximum d’énergie décarbonée sous forme d’hydrogène, dans la mesure où il s’agit d’une option pour laquelle il est plus facile de diversifier les sources d'approvisionnement. Bien que cette interprétation soit discutable (les technologies vertes à partir desquelles l’hydrogène sera produit viendront inévitablement de quelque part), il n’en demeure pas moins que le Japon dispose d’une avance en matière de développement de l’hydrogène.

De fait, le Japon fait partie des leaders en matière de brevets pour certains types de technologies nécessaires à l’exploitation de l’hydrogène à grande échelle. Les entreprises japonaises affichent néanmoins un retard dans le développement de ces technologies ainsi que des coûts d’exploitation de leurs électrolyseurs (Alcalin) plus élevés que ceux de leurs concurrents directs européens et chinois (jusqu’à 2 fois plus élevés que les électrolyseurs chinois à horizon 2030), donnant du grain à moudre aux critiques formulées  par les détracteurs de l’approche japonaise. 

La plupart des critiques rationnelles qui sont faites à la société de l'hydrogène japonaise concernent davantage le volet “demande” (utilisation pour le chauffage, production électrique en co-combustion avec le charbon, etc.), que la politique de l’offre. En effet, si le Japon souhaite honorer ses objectifs de neutralité carbone, il aura besoin d’importer de l’énergie décarbonée et sa seule option sera d’y parvenir à travers l’importation d’hydrogène liquide, sous toutes ses formes.

La réussite du “verdissement” de sa politique d’importation de l’hydrogène sera une des clés de la réussite de sa stratégie de décarbonation industrielle.

Toutefois, si cette stratégie d’approvisionnement passe par une utilisation importante de technologies de captage et stockage du carbone (donc de l’hydrogène bleu), le Japon aurait alors davantage intérêt à capter directement ce carbone dans son processus industriel plutôt que d’importer de manière coûteuse de l’hydrogène “décarboné” ayant une faible efficacité énergétique. La réussite du “verdissement” de sa politique d’importation de l’hydrogène sera ainsi une des clés de la réussite de sa stratégie de décarbonation industrielle.

Au-delà des critiques sur sa dépendance excessive à l'hydrogène, les différentes évolutions de la politique de décarbonation du Japon laissent à penser que l’hydrogène ne sera pas la seule technologie privilégiée par le pays. Si le dernier rapport intérimaire pour l’énergie propre produit par le ministère japonais de l’Économie prévoit un investissement annuel dans les vecteurs d’énergie nécessaires au respect des objectifs de décarbonatation du pays à 300 milliards de yens par an pour l’hydrogène, ce document envisage le double, soit 600 milliards de yens, pour les investissements dans les batteries. En définitive, il est évident qu’au Japon comme ailleurs, le mix technologique fera partie de la réponse et de la trajectoire vers la neutralité carbone.

Le Japon et l’Europe partagent des intérêts communs concernant l’hydrogène

Le Japon s’est fixé l’objectif d’être neutre en carbone en 2050, et compte bien utiliser l’hydrogène pour y parvenir. La société de l’hydrogène japonaise apporte à l’Europe matière à réflexion. La stratégie japonaise est critiquée, risquée et repose sur de nombreuses inconnues concernant les coûts de l’importation de l’hydrogène liquide par voie maritime à court et à moyen terme. Elle ne mise pas assez sur la production domestique et néglige les risques liés à la sécurité énergétique. Elle apparaît néanmoins comme une réponse réaliste au vu de la nécessité, pour le Japon, de faire émerger des chaînes d’approvisionnement internationales au service de ses besoins énergétiques. L’insularité du Japon, son relief accidenté, les risques de catastrophes naturelles tout comme la nature de son tissu industriel et économique rendent en effet inévitable l’approvisionnement en hydrogène à l’étranger si le Japon espère remplacer, à terme, les énergies fossiles.

Sur ce point, le Japon est donc pour l’Europe un réel partenaire “importateur” avec qui il a des intérêts communs dans l’élaboration d’une économie mondiale de l’hydrogène. Vu les coûts élevés et les contraintes, les marchés de l’hydrogène vert qui émergeront seront régionaux. Dans le court et le moyen terme, l’Europe importera principalement son hydrogène vert par pipeline, l’exposant à des risques liés au peu de diversité de fournisseurs possibles. Le Japon sera quant à lui contraint à l’importation par voie maritime dès le début. Le Japon offre donc un exemple intéressant à observer pour le futur de l’importation maritime de l’hydrogène décarboné. Au-delà du fait qu’ils seront peu en concurrence pour l’obtention de la ressource dans un avenir proche, l’Europe et le Japon ont donc le potentiel de devenir des partenaires cruciaux pour développer des normes et des réglementations qui encadrent ces marchés naissants, tant d’un point de vue environnemental, qu’en ce qui concerne les règles commerciales qui les lieront à leurs partenaires exportateurs.

 

L’auteur remercie M. Kawaguchi, directeur pour la décarbonation industrielle au ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie et les membres du Joint Research Project sur l'Économie des Énergies Renouvelables de l’Université de Kyoto pour leurs contributions à cette analyse. Il remercie également Thomas Maddock, assistant chargé d’études du programme Asie de l’Institut Montaigne, pour son appui au travail de recherche.

 

 

Copyright Image : Richard A. Brooks / AFP

Une section des installations de stockage et d'approvisionnement en hydrogène du "Fukushima Hydrogen Energy Research Field" (FH2R), l'une des plus grandes installations d'essai au monde produisant de l'hydrogène à partir d'énergies renouvelables.

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