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01/03/2023

Les conséquences de la guerre en Ukraine : regard depuis l'Égypte

Entretien avec Saïd Hanafi

Les conséquences de la guerre en Ukraine : regard depuis l'Égypte
 Saïd Hanafi
Président de la Chambre Française de Commerce du Caire

La guerre en Ukraine est entrée, fin février 2023, dans sa deuxième année. Au-delà de ses conséquences sur l'Europe, largement commentées, comment le conflit affecte-t-il d'autres régions du monde ? Nous nous intéressons aujourd'hui à la situation en Égypte, avec Saïd Hanafi, Président de la Chambre Française de Commerce du Caire et professeur de droit du commerce à l'Université américaine du Caire. Quelles sont les conséquences de cette guerre sur l’économie et la sécurité alimentaire égyptiennes ? Quelles sont les mesures prises par le gouvernement égyptien, et l’état des relations de ce pays avec la Russie et la Chine ?

Un an après le début de la guerre en Ukraine, que pouvons-nous observer comme conséquences dans le monde arabe et plus particulièrement en Égypte ?

La guerre en Ukraine a touché différents secteurs dans le monde arabe. Sur le plan politique, les alliances ont subi une certaine évolution : les leaders du monde arabe considèrent que nous ne sommes plus face à une scène internationale unipolaire mais comprenant plusieurs acteurs importants comme la Russie, la Chine et l’Arabie Saoudite. 

Sur le plan énergétique, la guerre en Ukraine a provoqué une hausse importante des prix du pétrole et du gaz, ce qui a entraîné une inflation à la croissance exponentielle dans le monde. Ceci dit, la hausse du prix du pétrole a, en quelque sorte, bénéficié aux pays exportateurs de pétrole notamment les pays du Golfe.

Selon moi, l'Égypte a été particulièrement touchée par les perturbations de l’importation et l’exportation du blé. Cela s'explique par le fait que le pays importe la majorité de son blé de Russie et d'Ukraine (environ 13 millions de tonnes en 2022). Cette perturbation a provoqué une flambée des prix des produits alimentaires avec un taux d’inflation autour de 22 % en décembre de l’année dernière. En outre, un nombre important de touristes russes et ukrainiens visitent l'Égypte chaque année (soit 900 000 et 20 000 touristes respectivement, soit 20 % des touristes), volume qui a fortement baissé en raison de la guerre.

Quel est le positionnement des élites égyptiennes à l'égard de la guerre ? Quel est celui de la population ?

La hausse des prix et la dévaluation, qui atteint 70 % depuis mars 2022 de la livre égyptienne (LE), frappent la population dans son intégralité.

À mon avis, toute la population Égyptienne (dont les élites) subit les mêmes conséquences. La hausse des prix et la dévaluation, qui atteint 70 % depuis mars 2022 de la livre égyptienne (LE), frappent la population dans son intégralité. Toutefois, il est certain que l'élite égyptienne est mieux placée pour pouvoir faire face aux effets de la guerre. De plus, une partie de l’élite voit dans cette guerre une opportunité pour agrandir et renforcer ses affaires commerciales, notamment celles du secteur pétrolier. Malgré cela, le bilan reste très clairement négatif pour toute la population égyptienne. 

Quels sont les effets sur l'économie égyptienne et plus particulièrement sur la sécurité alimentaire de l'Égypte ?

Comme il a été souligné précédemment, l’économie égyptienne souffre de la hausse des prix des marchandises et de la dévaluation de la livre égyptienne, ce qui a affaibli le pouvoir d’achat de la population, particulièrement pour la classe moyenne. Cela est accentué par le fait que l'Égypte, qui est l'un des plus grands importateurs de blé, en importe la quasi-totalité de Russie et d’Ukraine. De ce fait, la guerre a directement menacé sa sécurité alimentaire.

Le Premier ministre égyptien, Moustafa Kemal Madbouli, a décrit la guerre en Ukraine comme "une crise qui s’ajoute à une crise", soulignant aussi les effets de la crise sanitaire dans le monde, notamment en Égypte. La crise du Covid a eu un impact très important sur l’économie égyptienne. Elle a provoqué un fort ralentissement des secteurs industriels et de grandes difficultés dans le domaine médical, en raison notamment d'une surpopulation des hôpitaux lors des pics de la crise. Ces mots du Premier ministre témoignent de l’état préoccupant dans lequel se trouve le pays. La guerre a démontré la fragilité et la précarité de l'économie égyptienne en raison de sa dépendance aux importations, mais elle a aussi mis en exergue la détresse de la population égyptienne.

Quelles mesures ont été mises en place pour pallier aux difficultés issues de la guerre ? Dans le secteur du commerce ? Dans le secteur des finances ? Dans le secteur privé en général ?

Le gouvernement égyptien a mis en place plusieurs mesures pour pallier aux difficultés issues de la guerre. D'abord, l'achat de 6 millions de tonnes de blé, valant 36 milliards LE (1,1 milliard d'euros), afin d'assurer la sécurité alimentaire du pays.

Une allocation de 130 milliards LE, visant à adoucir les effets de la guerre sur les citoyens les plus fragilisés, a également été mise en place. Pour diminuer l’impact économique de la guerre sur les ménages les plus modestes, L'État va enfin assumer 100 % de la hausse du prix du pain subventionné. Entre ses réserves stratégiques et la production locale, l'Égypte se dit prête à prévenir la pénurie alimentaire.

L’État va enfin assumer 100 % de la hausse du prix du pain subventionné. 

De même, le gouvernement a alloué 190 milliards LE à l’autorité nationale d’assurance sociale pour augmenter les pensions de 13 % à compter d’avril 2022, en plus d’augmenter le plafond d’exemption fiscale de 24 milles LE à 30 milles LE. Pour assurer le maintien des prix ou pour en limiter la hausse, le gouvernement a aussi pris des mesures visant à renforcer son contrôle et sa surveillance sur le marché. Par ailleurs, le gouvernement a annoncé que le secteur industriel serait exempté de taxe foncière pour les trois prochaines années. Les mesures prises par le gouvernement s’alignent avec la "Vision Égypte 2030" qui entend assurer le développement durable de l'Égypte. 

Concernant le secteur agricole, l'Égypte travaille à assurer l’augmentation de la superficie exploitée (avec la remise en l’État de 4 millions d’acres de terres agricoles) et de la production agricole, mais aussi à atteindre l'autosuffisance pour certains produits stratégiques (notamment le blé, le riz, le sucre et l’huile). Le pays souhaite aussi réaliser la promotion des technologies agricoles. Le gouvernement égyptien fait ainsi le maximum pour atténuer les effets négatifs de la guerre, mais pour l’heure la situation reste laborieuse. 

Enfin, cette guerre a-t-elle offert des opportunités à la Russie ou à la Chine de se renforcer en Égypte ?

La relation russo-égyptienne est une relation très importante qui remonte aux années 1950. Aujourd’hui, 400 sociétés russes opèrent sur le marché égyptien avec un chiffre d’affaires de 7,4 milliards de dollars. Les deux États souhaitent renforcer leur relation comme l'illustre la volonté russe d’investir davantage en Égypte. Cela témoigne de la force du lien politique entre les deux pays - ce lien ne faisant que se renforcer avec le temps. 

En parallèle, la relation entre l'Égypte et la Chine s'est aussi améliorée au cours de ces trois dernières années. La Chine a investi à hauteur d'environ 1,5 milliard de dollars en Égypte en 2021. Environ 68 % des investissements de la Chine sont concentrés dans le secteur industriel, 15 % dans le secteur financier et 9 % dans le secteur de l’Information et de la Communication (ICT). La visite du ministre des affaires chinois au Caire en Janvier 2023 témoigne de ce renforcement des relations égypto-chinoises. De plus, lors de son discours à Pékin en avril 2019, le Président égyptien, Abdel Fattah el Sissi, affirmait que la politique chinoise One Belt One Road s’alignait avec la Vision Égypte 2030 à plusieurs égards, notamment en matière de développement d’infrastructures.

Il est difficile de déterminer exactement à quel point la guerre a permis la croissance et le renfort des présences russes et chinoises en Égypte, mais il est certain que ces deux États continueront d’affirmer leur présence en Égypte.

 

Copyright image : Alexander Zemlianichenko / POOL / AFP

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