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28/02/2022

Le début de la fin pour Poutine

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Le début de la fin pour Poutine
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Napoléon 1812-Poutine 2022, même combat ? Ou plutôt : même fin de partie ? Dominique Moïsi est convaincu que l'invasion de l'Ukraine sera aussi destructrice pour le président russe que l'invasion de la Russie pour l'Empereur. Poutine est en train de devenir un péril mortel pour la planète, qu'aucune grande nation, y compris la Chine, ne pourra longtemps tolérer.

Retrouvez la timeline de l’Institut Montaigne dédiée à remonter le temps et saisir la chronologie du conflit.

L'invasion de l'Ukraine en 2022 sera-t-elle, pour Poutine, l'équivalent de ce qu'a été l'invasion de la Russie en 1812 pour Napoléon : le début du commencement de la fin ? La comparaison peut surprendre et même choquer. Comment mettre en parallèle en effet deux moments historiques à ce point différents, sinon diamétralement opposés ?

La Russie était trop lointaine, trop vaste, trop froide aussi pour la Grande Armée. En reculant, sans presque combattre, le général en chef des armées russes, Koutouzov, attirait Napoléon dans un piège qui allait se refermer sur lui. L'Ukraine est si proche pour la Russie, si vulnérable aussi, compte tenu de la supériorité éclatante des forces mises en œuvre par Poutine. S'il y a une comparaison à faire, n'est ce pas plutôt avec l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie en 1939 ? Les Polonais, tout comme les Ukrainiens aujourd'hui, se sont battus vaillamment, mais leur cavalerie ne pouvait rien face aux blindés du IIIème Reich.

Et pourtant ? Poutine est beaucoup plus fragile qu'il n'y paraît. Pour peu bien sûr que notre détermination politique et morale soit intacte, et que nous soyons prêts à "faire des sacrifices" pour l'Ukraine. Il ne s'agit pas de mourir pour Kiev, mais de traiter la Russie de Poutine pour ce qu'elle est devenue, un État paria et un péril mortel pour la société internationale.

Poutine a sous-estimé la puissance des images

Au lendemain de l'invasion par Napoléon de la Russie, le sort de l'empereur était scellé. L'Europe d'Ancien Régime avait compris qu'aucun compromis n'était possible avec lui. Napoléon n'était ni fou, ni paranoïaque. Son ambition de puissance était seulement trop grande et déstabilisatrice. Dans le "Mémorial de Sainte-Hélène", l'empereur déchu reproche amèrement à son ministre des Affaires étrangères, Talleyrand, de ne pas l'avoir mis en garde contre les dangers de la Guerre d'Espagne d'abord, de la campagne de Russie ensuite. Poutine accusera-t-il un jour Lavrov, de ne pas l'avoir suffisamment averti des risques d'une invasion de l'Ukraine ?

Face à la puissance, moins irrésistible que prévu, des armées russes, il y a la puissance des images.

Face à la puissance, moins irrésistible que prévu, des armées russes, il y a la puissance des images. En voyant les Ukrainiens se presser dans les stations de métro de leur capitale, au spectacle de femmes âgées tenant leurs petits enfants par la main, désespérément en quête d'un abri contre les bombes, des images nous viennent spontanément à l'esprit : celles de Londres pendant la bataille d'Angleterre, celles de la Pologne lors de son invasion par l'Allemagne nazie.

Combien de temps pourra-t-il contrôler son peuple ?

Naïf dans son cynisme absolu, Poutine a complètement négligé l'impact émotionnel du processus destructeur qu'il mettait en œuvre. En 1813, l'Europe d'Ancien Régime avait compris qu'aucun compromis n'était possible avec "l'usurpateur". Il fallait qu'il parte. Aujourd'hui une évidence se fait de plus en plus jour : elle peut se résumer en une phrase : "Poutine est trop dangereux pour la sécurité du monde". Même ses soutiens les plus complaisants, ceux qui affirmaient hier avec assurance que "jamais il n'envahirait l'Ukraine", prennent leurs distances avec lui, insistant sur son irrationalité ou sa paranoïa.

De fait, ce qui menace Poutine, ce n'est pas seulement l'Occident et ses sanctions, ou la vaillante résistance du peuple ukrainien, mais le peuple russe d'un côté, et la Chine de l'autre. Aujourd'hui tous ceux qui osent manifester contre l'invasion d'une nation souveraine sont systématiquement mis en prison. Et leur nombre est réduit.

Mais combien de temps Poutine pourra-t-il contrôler son peuple, sinon son entourage ? Combien de temps, avant que "la guerre de défense de la Russie" n'apparaisse clairement pour ce qu'elle est : la guerre d'agression de Poutine, sinon la dérive d'un tsar devenu fou ? La tristesse des familles russes qui auront perdu un des leurs dans une guerre de choix ; le ressentiment de ceux - bien plus nombreux - qui verront, du fait de l'isolement de leur pays, leur situation économique se dégrader sérieusement ; sans oublier les frustrations des oligarques, et les remords des plus libéraux des Russes : tout cela finira-t-il par conduire à une immense vague de rejet du régime ?

La menace existentielle de l'arme nucléaire

L'aventure afghane avait contribué à la chute de l'URSS, l'aventure ukrainienne entraînera-t-elle à terme, celle de Poutine ? Cela suppose que les Russes comprennent que le monde n'est pas en guerre contre leur pays, mais que leur président est en guerre contre le monde. Et qu'il mène son peuple, et au-delà, l'Europe tout entière, à la catastrophe.

En 2022, la priorité n'est plus de "sauver le soldat Ryan" mais de "contenir le soldat Poutine", devenu un principe de désordre et de destruction.

À l'heure où la menace que fait peser l'existence de l'arme nucléaire s'additionne à celle, existentielle aussi, du réchauffement climatique, notre civilisation ne peut tolérer l'existence en son sein d'un facteur de nuisance aussi dangereux que Vladimir Poutine. Il appartient à la Chine, si fière de sa quête d'harmonie, de prendre ses distances avec la gigantesque "fausse note" que représente désormais Poutine. Plus la résistance ukrainienne sera longue, plus la Chine prendra ses distances avec la Russie de Poutine.

Plus la résistance ukrainienne sera longue, plus la Chine prendra ses distances avec la Russie de Poutine.

S'il y a des sacrifices à faire, faisons-les

Pékin n'a pas mis son veto, mais s'est simplement abstenu lors du vote de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU condamnant l'invasion de l'Ukraine. La priorité de Poutine était d'exploiter, sinon de susciter, les divisions entre Occidentaux. Une des priorités du monde occidental doit être de dissocier la Chine de Xi Jinping de la Russie de Poutine.

Le monde civilisé doit tout faire, bien sûr, pour éviter de sombrer dans une troisième guerre mondiale apocalyptique. Mais il doit aussi intégrer dans sa lutte contre le "mal Poutine" la nécessité de consentir à des sacrifices.

Il faut frapper le plus fort possible le pouvoir russe au portefeuille, y compris en utilisant - totalement, sans restriction aucune - l'arme "nucléaire financière" que représente SWIFT. Faut-il attendre que Poutine soit à Riga, Vilnius, Tallinn ou Varsovie avant d'avoir recours à cette mesure drastique ?

En laissant libre cours à ses obsessions et ses fantasmes, Poutine, devenu un modèle presque parfait de délire paranoïaque, s'est auto-exclu de la société internationale. Est-il encore possible de négocier avec lui ?

 

Avec l'aimable autorisation des Echos, publié le 28/02/2022.

Copryight : Alexey NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

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