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21/07/2021

Informatique quantique : opportunités pour la chimie et pour la pharmacie

Informatique quantique : opportunités pour la chimie et pour la pharmacie
 Florian Carrière
Auteur
Senior Manager, Technologies Digitales et Émergentes chez Wavestone
 Théophile Lenoir
Auteur
Contributeur - Désinformation et Numérique

Les progrès des technologies quantiques toucheront un très grand nombre de secteurs : la logistique, la finance, l’intelligence artificielle… Parmi ceux-ci, les domaines de la chimie, de la pharmacie et plus largement des sciences de la matière sont les plus prometteurs et anticipent des percées substantielles. Dans cet article, Florian Carrière, Senior Manager chez Wavestone, et Théophile Lenoir, responsable du programme Numérique de l’Institut Montaigne, présentent quelques-unes des opportunités des technologies quantiques dans ces secteurs, évoquées lors du troisième et dernier événement sur l’informatique quantique organisé par l’Institut Montaigne.
 
Le besoin de simuler plus efficacement la matière et ses transformations est à l’origine de l’idée même d’informatique quantique, attribuée à Richard Feynman (qui a reçu le prix Nobel de physique en 1965). Il est donc naturel que la chimie, la pharmacie et les nouveaux matériaux soient aujourd’hui des domaines majeurs pour les acteurs de l’écosystème quantique.

Développer de nouveaux médicaments 

Dans le domaine de la pharmacie, l’informatique quantique offre des opportunités importantes en rendant possible des simulations de plus en plus proches de la réalité, améliorant ainsi la conception de médicaments. Certes, il n’est pas nécessaire d’avoir un ordinateur quantique pour simuler le comportement et les interactions des molécules, et les ordinateurs classiques sont déjà utilisés depuis longtemps pour ce faire. Cependant, cela se fait au prix de très fortes approximations, car le nombre d’interactions simultanées ayant lieu dans une molécule est trop grand pour qu’un ordinateur classique puisse les prendre toutes en compte. Sur le temps long, l’informatique quantique, par sa capacité à manipuler un très grand nombre de variables simultanément, pourrait réduire drastiquement ces approximations, rendant ainsi possible une simulation quasi-parfaite de la matière.

Prenons un exemple. Aujourd’hui, l’ordinateur classique n’est pas en mesure de calculer avec exactitude l’énergie de la molécule de la caféine, molécule pourtant de taille relativement modeste (24 atomes). D’après nos interlocuteurs, pour effectuer ce calcul, un ordinateur classique aurait besoin de 10 puissance 48 bits (soit 48 zéros après le 1). Avec un ordinateur quantique, seulement 160 qubits seraient nécessaires (en supposant toutefois que ces qubits soient suffisamment stables, ce qui est encore rarement le cas aujourd’hui). De manière générale, les scientifiques considèrent que 50 à 100 qubits "parfaits" seront suffisants pour dépasser les ordinateurs classiques dans des simulations de molécules simples. D’après eux, nous pourrions arriver à cet état d’avancement d’ici 2035. 

Combattre le réchauffement climatique

Plus largement, l’informatique quantique pourrait offrir des opportunités intéressantes pour faire face au dérèglement climatique. Répondre à cet enjeu nécessite une amélioration significative des procédés industriels pour limiter la consommation d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre et plus largement la consommation de ressources non renouvelables. La simulation numérique est un levier majeur pour optimiser ces procédés, mais elle se heurte à nouveau à des capacités de calcul insuffisantes dès lors que l’on traite des problèmes du monde réel. L’informatique quantique pourrait offrir des solutions dans les prochaines années. 

L’informatique quantique pourrait offrir des opportunités intéressantes pour faire face au dérèglement climatique. 

Par exemple, le développement de batteries électriques plus performantes est l’un des enjeux de l’industrie des transports : les batteries doivent devenir plus efficaces sur plusieurs plans, tels que la densité énergétique, l’autonomie, la rapidité de chargement, le temps de vie ou encore le coût de production. Les technologies quantiques vont permettre de simuler les réactions à l’intérieur de ces batteries, en fonction des matériaux impliqués et de leur agencement, voire de concevoir des matériaux de novo pour améliorer davantage les performances.

Dans un autre domaine, les technologies quantiques pourraient permettre d’améliorer le rendement des cellules photovoltaïques (en élucidant les mécanismes quantiques dans la photosynthèse) ou de concevoir des matériaux à plus faible empreinte écologique. Elles pourraient aussi simuler de façon beaucoup plus fine le climat de la Terre, qui nécessite de faire varier de très nombreuses composantes simultanément.

Commencer par des expérimentations

Notons que le Graal que serait une simulation parfaite de la matière ne doit pas occulter les progrès possibles à plus brève échéance. Adopter une approche progressive, en décomposant et en simplifiant au besoin les problèmes, peut apporter des gains rapidement. À titre d’exemple, durant la crise sanitaire, des expérimentations virtuelles ont été faites à partir d’ordinateurs classiques sur des molécules liées au Covid-19. 

Pour cela, il a fallu faire fonctionner une centaine de GPU (des processeurs graphiques très puissants) en continu pendant une quinzaine de jours. Chacune de ces GPU a une consommation énergétique importante, et un coût économique associé. Complémenter ces calculs à l’aide d’ordinateurs quantiques permettrait de réduire le nombre de GPU utilisées, et ainsi les coûts et l’impact environnemental de ces expérimentations. Pour les entreprises, la première étape est de recenser leurs compétences. Beaucoup de profils très experts en mathématiques ou en physique se sont reconvertis dans des secteurs informatiques.

S’il est important pour la France de posséder ses propres ordinateurs quantiques, il est tout aussi essentiel d’acquérir les compétences pour développer des logiciels opérant ces machines.

Ils pourraient commencer dès à présent à travailler à la reformulation de problèmes afin qu’ils puissent être traités par des algorithmes quantiques simples. Se saisir dès aujourd’hui de ces questions et commencer à expérimenter est indispensable pour maîtriser plus tard des ordinateurs quantiques plus puissants.

Les possibilités sont donc vastes et des expérimentations peuvent et doivent être menées dès à présent. Ces expérimentations forment une partie non négligeable des objectifs du plan quantique annoncé en janvier 2021. Car s’il est important pour la France de posséder ses propres ordinateurs quantiques, il est tout aussi essentiel d’acquérir les compétences pour développer des logiciels opérant ces machines et traitant des cas d’usages concrets. Les acteurs économiques ont donc beaucoup à gagner en développant dès à présent, pas à pas, une maîtrise des technologies quantiques.

 

 

Copyright : LOIC VENANCE / AFP

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