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14/09/2021

Enseignement supérieur et recherche : à la croisée des chemins

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Enseignement supérieur et recherche : à la croisée des chemins
 Francis Vérillaud
Auteur
Ancien conseiller spécial de la direction

La rentrée universitaire constitue un prisme privilégié pour observer la réalité de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) français. L’ESR, comme bien d’autres politiques publiques, est sous tension. Après deux années universitaires lourdement perturbées par la pandémie de Covid-19, il aborde la rentrée dans un climat d’incertitude inhabituel. Par ailleurs, il doit prendre en charge la mise en œuvre d’une loi cruciale pour l’avenir de la recherche : la Loi de Programmation de la Recherche, promulguée le 24 décembre 2020, qui vise à changer radicalement la donne et à permettre à la recherche française de regagner sa place dans la compétition mondiale. Si les tendances qui émergent en cette rentrée montrent que l’ESR français est de plus en plus fragilisé, il n’en reste pas moins que les épreuves et les changements qui le touchent affectent également le paysage mondial et offrent ainsi des potentialités de transformation et d’amélioration peut-être inédites.

La première observation porte sur le vécu, les réalités humaines et sociales, des femmes et des hommes qui forment les communautés universitaires et plus largement de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. 

Les établissements universitaires et les écoles font face à une situation sanitaire qui demeure préoccupante. Malgré tout, Frédérique Vidal, la Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), s’appuyant sur l’état d’avancement de la campagne nationale de vaccination, a ouvert la voie à une rentrée 100 % en présentiel, utilisant la totalité des capacités d’accueil. Si les gestes barrières doivent être respectés et le port du masque demeure obligatoire, la distanciation physique ne sera pas retenue et le passe sanitaire ne sera pas exigé des étudiants, sauf pour les activités ne faisant pas partie des formations elles-mêmes ou encore avec la présence d’intervenants ou de publics extérieurs à l’établissement. Il s’agit donc d’une rentrée à risque dont le bon déroulement repose sur la poursuite de conditions sanitaires satisfaisantes. Dès lors, les établissements sont appelés à faire preuve de la plus grande vigilance et à prévoir des aménagements importants, qui pourraient comprendre des mesures de distanciation et le recours à des formes d’hybridation des formations et de basculement éventuel des examens en distanciel. 

C’est donc une pression importante, aussi bien en termes de gouvernance que de financement ou de gestion des ressources humaines, qui s’exerce sur les universités pour être à même de fonctionner à plein régime tout en préparant des formes de repli si cela s’avérait nécessaire. Cette décision était indispensable compte tenu des conséquences dramatiques de la pandémie sur l’année universitaire passée. La crise a en effet révélé l’état de précarité dans lequel vit une proportion très importante des étudiants de nos universités. 

La crise a en effet révélé l’état de précarité dans lequel vit une proportion très importante des étudiants de nos universités. 

Le MESRI a ainsi pris pour cette rentrée des mesures qui sont autant de signes de la situation dégradée de notre enseignement supérieur. Les frais de scolarité ont été gelés pour la deuxième année consécutive ; ils s’élèvent à 170 € par an pour le cycle de licence et à 243 € par an dans les formations conduisant aux différents diplômes nationaux de master. Il en va de même pour les loyers des chambres étudiantes gérées par les CROUS.

En outre, les bourses sur critères sociaux ont été réévaluées de 1 % pour atteindre, en montant annuel (versé sur 10 mois), 1 042 € à l’échelon 0 et 5 736 € au dernier échelon. Les repas à 1 € au restaurant universitaire sont maintenus pour les boursiers sur critères sociaux et les étudiants en situation de précarité. Enfin, le chèque psy est également maintenu pour donner l’accès à des soins psychologiques aux étudiants en situation de mal-être.

Ces mesures ne sont malheureusement pas marginales, elles sont essentielles pour le million d’étudiants boursiers et pour les 40 % (sur 2,7 millions d’étudiants) qui travaillent pour financer leurs études. Les situations de précarité économique et sociale et la grande dépendance vis-à-vis des aides financières de l’État expliquent en partie l’importance de l’échec à l’université. Rappelons que seuls 30 % des étudiants obtiennent leur licence en trois ans et qu’un étudiant sur cinq quitte l’enseignement supérieur sans diplôme. 

L’abandon en cours d’études, qualifié de "décrochage", est une pratique très largement observée dans l’université française et qui ne varie guère. Stress, solitude et dépression font que les étudiants les plus fragiles "décrochent". Le sujet s’enracine dans la paupérisation de l’université française : il prend sa source dans les difficultés des communautés universitaires à accorder une attention soutenue et personnalisée aux parcours des étudiants. La faiblesse de la prise en charge de l’orientation et du conseil est bien souvent une raison de l’absence de motivation de nombreux étudiants. Les mesures apportées récemment par Parcoursup et par la loi sur l’orientation et la réussite étudiante (loi ORE) visent à modifier ces situations si coûteuses pour les intéressés, pour les enseignants et, plus largement, pour la société.
 
On ne dispose pas aujourd’hui de données suffisantes pour savoir si la crise du Covid-19 a par ailleurs accentué la dégradation de l’insertion sur le marché du travail des jeunes diplômés. Mais il est probable que la génération Covid-19 subira un net recul dans les conditions d’accès au marché du travail. Ici encore, les universités françaises sont loin d’être capables d’assurer ce passage clef pour la réussite étudiante. 

Faire un constat aussi amer, qui montre à quel point le rôle de l’État est désormais incontournable, est d’autant plus surprenant qu’un vaste mouvement d’autonomisation des universités a été lancé en 2007 par la loi sur les Libertés et les Responsabilités des Universités (LRU). Beaucoup de réformes et de transformations ont certes bousculé le paysage universitaire français en quatorze ans, mais force est de constater que pour les étudiants et enseignants d’aujourd’hui, la rentrée est encore plus sous contrainte qu’elle ne l’était en 2007 et que les ressources mises à la disposition de chacun ont diminué. 

Une seconde observation, davantage centrée sur la situation de la recherche, montre que la précarisation croissante de l’enseignement supérieur français n’est pas sans rapport avec les difficultés qu’éprouve l’ESR français dans la compétition internationale et plus largement pour prendre sa place dans la réorganisation de l’ESR au niveau mondial.

Pourtant, en cette rentrée 2021, l’amélioration des positions de la France dans les classements internationaux des universités pourrait donner lieu à un certain optimisme. En effet, après des débuts laborieux, la France a fini par trouver sa place au sein de ces grands classements (ARWU ou Classement de Shanghai, Times Higher Education (THE) World University Ranking et QS World University Ranking) internationaux. Elle apparaît désormais en troisième position dans le classement de Shanghai, derrière le Royaume-Uni et les États-Unis, et est cette année en septième position dans le classement THE.

La précarisation croissante de l’enseignement supérieur français n’est pas sans rapport avec les difficultés qu’éprouve l’ESR français dans la compétition internationale.

Notre pays peut désormais aligner de grandes universités de recherche, des World Class Universities, compétitives au niveau mondial. L’Université Paris-Saclay, PSL, Sorbonne Université, l’Institut Polytechnique de Paris ou encore l’université de Strasbourg, l’université de Bordeaux et l’Université de Paris sont des entités qui, par les regroupements suscités par la politique volontariste des investissements d’avenir, constituent des ensembles scientifiques pluridisciplinaires, diversifiés et spécialisés qui manifestent une force de frappe remarquable. 

Cependant, il ne faut pas s’y tromper, ces classements situent également la France dans un environnement de plus en plus concurrentiel. Les parts prises par les grandes universités de nombreux pays asiatiques, mais pas seulement, ont pour effet de rapprocher de nombreuses universités françaises de la moyenne.

L’évolution de la part de la recherche française dans les publications scientifiques au niveau mondial constitue un indicateur plus précis de ce que signifie ce rééquilibrage au niveau international. Un rapport de l’Observatoire des Sciences et Techniques, publié par le HCERES en février 2021, montre que la France reste un pays intensif en matière de recherche scientifique : avec 1 % de la population mondiale, elle produit 2,8 % des publications scientifiques de niveau international. Pour autant, notre place au niveau mondial dans les publications scientifiques recule de façon constante depuis plus de vingt ans. La France est ainsi passée du 6e au 9e rang mondial entre 2005 et 2018, derrière la Corée du Sud (2,9 %), l’Italie (3 %), l’Inde (3,8 %), le Japon (3,9 %), l’Allemagne (4,3 %), le Royaume-Uni (4,5 %) et les États-Unis (19 %), désormais devancés par la Chine (20 %). Le recul est encore plus marqué si l’on se réfère uniquement aux publications les plus citées. Si la France recule fortement dans ce classement, avec le Japon et les États-Unis, il est important de noter que le Royaume-Uni et l’Allemagne maintiennent leurs parts. 

L’évolution de la part de la recherche française dans les publications scientifiques au niveau mondial constitue un indicateur plus précis de ce que signifie ce rééquilibrage au niveau international.

Bien évidemment, toutes les publications scientifiques n’ont pas la même valeur ; il est utile de se référer à la place des "chercheurs hautement cités" par pays (Highly Cited Researchers, HCR). Le rapport de l’Institut Montaigne sur l’ESR français, publié en avril 2021, souligne les performances modestes de la France par rapport à cet indicateur, c'est-à-dire quant à l’influence des chercheurs français dans la recherche mondiale. La France représente 2,4 % des HCR, contre 41,5 % pour les États-Unis, 12,5 % pour la Chine, 8 % pour le Royaume-Uni ou encore 5,4 % pour l’Allemagne.

Dans cette recomposition du paysage scientifique mondial qui s’accélère, la recherche française occupe encore des positions dominantes dans quelques disciplines et domaines, notamment en mathématiques, en physique et dans les sciences de l’univers et de l’informatique, mais elle perd du terrain en chimie, en biologie appliquée-écologie et en sciences sociales et humaines. 

Ce constat d’une France à la fois rattrapée par de nouveaux acteurs et englobée dans un ensemble aux performances moyennes ne signale pas en lui-même un affaiblissement de la recherche française mais indique clairement la nécessité de définir de nouvelles stratégies de développement pour la politique scientifique française et pour les établissements qui la portent. Il porte en lui la raison d’être d’une politique européenne de la recherche plus dynamique et ambitieuse.

Mais s’il est un point qui soulève de l’inquiétude et exige un constat lucide, c’est bien celui de la mesure d’un financement insuffisant de l’ESR français. Les chiffres sont connus et sans appel : la France consacre 2,2 % de son PIB (2017) à la recherche, contre 2,4 % en moyenne dans les pays de l’OCDE ; en matière d’enseignement supérieur, c’est 1,5 % du PIB en France, contre 1,7 % au Royaume-Uni et 2,5 % aux États-Unis. Au total, ce sont cinq points de PIB qu’il faudrait consacrer à l’ESR en France pour espérer rester dans le peloton de tête de l’enseignement supérieur et de la recherche au niveau mondial, soit 35 milliards d’euros supplémentaires par an qu’il convient de financer. 

Ces mesures des défaillances du financement de l’enseignement supérieur français sont encore accentuées par une dynamique démographique universitaire non maîtrisée, qui a pour conséquence une diminution continue, depuis plus de dix ans, de la dépense publique par étudiant en France, alors même que cette dépense augmente dans la plupart des pays de l’OCDE.

Ces constats s’expliquent par les difficultés qu’éprouve notre référentiel à se transformer. L’ESR français a fait depuis plus de vingt ans des efforts considérables pour s’adapter à la montée d’une concurrence internationale très rude. Les communautés universitaires ont pris à bras le corps de nombreuses réformes qui ont peu à peu modifié le paysage universitaire. Elles ont su faire preuve d’inventivité et de courage dans bien des cas. Mais la structure même de l’ESR est inadéquate pour affronter au mieux la compétition et relever les défis qui nous sont imposés. L’ESR français demeure basé sur un modèle de financement insuffisant et sur une gouvernance inadéquate, qui ne fait pas les choix indispensables. 

La France ne peut espérer jouer un rôle d’importance dans le monde d’aujourd’hui sans une recherche forte fondée sur des universités responsables et autonomes. Comment faire en sorte que la prise de conscience de la gravité des enjeux mette l’ESR au centre du débat public pour parvenir à la définition d’un pacte national autour de la formation des jeunes et de la politique scientifique ? 

 

Copyright : Natalia KOLESNIKOVA / AFP

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