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15/02/2023

Discours sur l'état de l'Union : un Biden combatif face aux défis intérieurs et internationaux

Discours sur l'état de l'Union : un Biden combatif face aux défis intérieurs et internationaux
 Amy Greene
Auteur
Spécialiste de la politique américaine, Université Paris Sciences et Lettres, Sciences Po

Le discours sur l'état de l'Union (State of the Union, "SOTU") est le rendez-vous annuel entre le président et le peuple américain, prononcé devant un rassemblement des deux chambres du Congrès et des neuf juges de la Cour suprême. Il s'agit d'une occasion solennelle de bilan et de projection permettant au président de détailler sa vision pour le pays, de revenir sur les événements forts de l'année écoulée et de fixer un cap politique et législatif pour l'année, ou les années à venir. Le SOTU de 2023 est intervenu à un moment particulier : premier discours sur l'état de l'Union depuis les élections de mi-mandat de novembre 2022 - qui ont vu les Démocrates renforcer leur contrôle du Sénat et les Républicains reprendre la Chambre de Représentants (avec la turbulente nomination de Kevin McCarthy comme président de la Chambre) ; le premier depuis le lancement officieux de la campagne présidentielle de 2024 ; le premier aussi depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie ; et le premier enfin depuis la détection puis la destruction très médiatisée d'un "ballon espion" chinois surplombant le ciel nord américain.

Priorité à la politique nationale

Si Joe Biden est particulièrement engagé sur la politique étrangère, après une longue carrière (d'abord au Sénat, puis comme vice-président) qui l'a mis en contact direct avec le sujet, l'international, en dépit du contexte, a finalement occupé une faible place dans son discours. Les préoccupations de politique intérieure ont dominé, et le président s'est saisi de l'occasion pour dessiner un portrait fin de ses priorités. Parmi les nombreux sujets évoqués, mentionnons notamment : l'économie et l'inflation, la réduction du déficit, la lutte contre le dérèglement climatique et la reconstruction des infrastructures américaines, l'augmentation des taxes pesant sur les entreprises et les ménages les plus aisés, l'accès aux soins et le droit à l'avortement, ou encore les réformes sur les armes à feu et la police… 

Les préoccupations de politique intérieure ont dominé, et le président s'est saisi de l'occasion pour dessiner un portrait fin de ses priorités. 

Par ailleurs, dans un climat politique marqué par l'obstructionnisme d’une partie des Républicains, Joe Biden a appelé ses collègues à la coopération au nom de l'intérêt supérieur du pays, afin de "terminer le travail" (finish the job) - à savoir, trouver enfin un accord bipartisan sur certains sujets prioritaires et sensibles comme Medicare et Medicaid, deux régimes d'assurance maladie publique à destination des populations vulnérables, les seniors dans le premier cas et les personnes à faibles revenus dans le second, que certains Républicains avaient suggéré plus ou moins implicitement de définancer.
 

De manière générale, la politique étrangère figure relativement bas sur la liste des préoccupations du public américain, et le président Biden n'avait sans doute pas beaucoup à gagner à s'attarder sur les dossiers internationaux, face à un public attendant des réponses sur des enjeux beaucoup plus immédiats concernant leur vie quotidienne. Néanmoins, en quelques mots discrets, Biden a rappelé son attachement à la défense de la démocratie face aux régimes autocratiques. Il s’agit pour lui de garantir "plus de liberté, plus de dignité, [et] plus de paix, non seulement en Europe mais partout".

Les yeux rivés sur la Chine

La préoccupation centrale de la classe politique américaine est la montée en puissance du peer competitor chinois et le discours du président Biden s'en est fait l’écho. Les tensions croissantes entre les deux puissances (liées entre autres à Taiwan, au soutien de Pékin pour Moscou, et à ce que perçoivent les Américains comme une agressivité chinoise dans la Mer de Chine méridionale) planaient sur le discours. L'establishment de la politique étrangère américaine perçoit la Chine comme le concurrent par excellence, comme neuf Américains sur dix, qui la qualifient de compétiteur si ce n’est d’ennemi, et ce, avant même l’interception du ballon espion, à quelques jours seulement de la visite prévue d’Antony Blinken en Chine, annulée en raison du ballon espion.

L'hostilité de l'opinion américaine envers la Chine a augmenté depuis quelques années, tout particulièrement autour de l’année 2020, dans le contexte de la crise du Covid. Une hostilité aussi bien liée à des raisons économiques qu'à des éléments sécuritaires. Le ballon espion chinois est la manifestation physique et concrète d'une menace précédemment perçue comme diffuse et lointaine. L'indignation qui a dominé parmi les réactions de l’ensemble de la classe politique (de Gauche comme de Droite) a sans doute sa part dans la tonalité très dure employée par Biden dans son discours, qui s’est employé à décrire la façon dont les États-Unis iraient systématiquement au front pour contrer la montée chinoise.

L'hostilité de l'opinion américaine envers la Chine a augmenté depuis quelques années, tout particulièrement autour de l'année 2020.

Le CHIPS Act, une loi prévoyant l'investissement de $280 milliards pour renforcer la production américaine des semi-conducteurs afin de concurrencer directement la Chine a également été abordé. Cette loi comporte un important volet de financement de la recherche scientifique dans des domaines de haute technologie (intelligence artificielle, biotechnologie, informatique quantique). Mélangeant politique économique et sécuritaire, cette légalisation se voit accompagnée d'un travail diplomatique auprès des alliés des États-Unis pour bloquer l'accès de Pékin à ces technologies sophistiquées et sensibles. L'accord passé en octobre 2022 entre les États-Unis, le Japon et les Pays-Bas pour adopter des restrictions communes aux transferts de technologies de semi-conducteurs à la Chine en est un exemple.
 
Dans un contexte de défiance vis-à-vis des ambitions militaires de la Chine, en particulier d'une éventuelle action militaire à Taiwan, Biden a rappelé son souhait de poursuivre la modernisation de l'arsenal militaire américain, afin de défendre ses intérêts partout, à tout moment. Il s'est engagé en effet à agir dès lors que la souveraineté américaine serait menacée, tout en louant son action pour renforcer et consolider une série d’alliances économiques et sécuritaires dans la région Asie-Pacifique.

L'Ukraine ou la bataille pour les valeurs occidentales

En présence de l'ambassadrice de l'Ukraine aux États-Unis, Oksana Markarova, Joe Biden a réaffirmé le soutien de Washington face à l’agression russe. Il l'a situé dans le contexte d'une bataille morale et politique bien plus large : celle pour l'âme des valeurs occidentales, qui font partie intégrante de l’ordre mondial dont Washington est le garant. 

En présence de l'ambassadrice de l'Ukraine aux États-Unis, Oksana Markarova, Joe Biden a réaffirmé le soutien de Washington face à l’agression russe.

Il s'agit pour Biden d'une lutte pour défendre la souveraineté et la démocratie. Face à un bloc sino-russe que les États-Unis soupçonnent de vouloir détricoter l'ordre mondial basé sur des règles - dont Washington est garant - Biden demande au Congrès de s'engager pour protéger cet ordre, et montrer l'exemple. Pour Joe Biden, l'Amérique et les Américains doivent adopter une position claire et intransigeante s'agissant de la défense des valeurs et des principes incarnés entre autres par l'Occident et ce, aussi bien at home que abroad.

Quid de 2024 ?

Par son discours, sa tonalité et son contenu, Joe Biden a envoyé un signal laissant peu de place au doute : celui d'une nouvelle candidature à l'élection présidentielle de 2024. Il aurait alors 82 ans, ce qui ferait de lui le doyen des présidents américains. En dépit d'un fructueux début de mandat, une majorité d'électeurs de Gauche ne souhaite pas une nouvelle candidature de Joe Biden. Mais l'émergence d'un ou d'une successeur est loin d’être acquise. L'exemple de la vice-présidente Kamala Harris en est l'incarnation : elle souffre d'un taux d'adhésion (39 %) inférieure à celui de Joe Biden (42 %) et d'une certaine illisibilité vis-à-vis des électeurs qui ont du mal à identifier son impact sur les dossiers très divers dont elle a la charge. En attendant d'y voir plus clair côté Républicain, et d'imaginer la manière dont une candidature Biden viendrait s'insérer dans une nouvelle dynamique électorale post-Trump, le SOTU a montré un président combatif et totalement investi pour aller de l'avant.

 

 

Copyright image : POOL / AFP Forum

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