Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
16/11/2022

Budget 2023 : "Une grande armée au service d'une démocratie"

Budget 2023 :
 Mahaut de Fougières
Auteur
Responsable du programme Politique internationale

"Une grande armée au service d’une démocratie", c'est l'objectif que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, s'est engagé à poursuivre avec le projet de loi de finances (PLF) 2023. Ce budget respecte en ce sens les engagements pris par le président de la République au cours de sa première campagne en 2017 et que la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, l'exercice pluriannuel de planification budgétaire des Armées, avait entérinés. Le cap était clair : régénérer les forces françaises et, pour y parvenir, atteindre en 2025 un budget annuel de 50 milliards d’euros, pour une enveloppe totale de 295 milliards d'euros sur sept ans. Le contexte actuel, marqué en particulier par la guerre en Ukraine, appelle désormais une ambition accrue : c’est l'objet de la nouvelle Loi de programmation militaire 2024-2030, qui devrait voir le jour début 2023. 

Un "budget pivot" qui respecte les engagements de la LPM 2019-2025…

À l’occasion de sa visite au salon Eurosatory en juin dernier, Emmanuel Macron se félicitait que les crédits engagés par la LPM pour 2022 aient été réglés "au centime près". S'agissant du budget 2023, le président de la République devrait pouvoir renouveler ses félicitations. En effet, après le passage d'un budget annuel de 35,9 à 41 milliards d’euros sur la période 2019-2022 (décliné en hausses de 1,7 milliard d’euros annuels), la première marche à +3 milliards, qui nourrissait des inquiétudes en 2019, sera bien franchie en 2023. Cette augmentation significative du budget des Armées porte leurs crédits totaux à 43,9 milliards d'euros, confirmant ce poste de dépenses comme le second de l'État, après l'Éducation nationale (59,7 milliards d'euros). Dans son rapport Repenser La Défense face aux crises du 21ème siècle (2021), l'Institut Montaigne appelait de ses vœux le respect de la Loi de programmation militaire ; c’est pour le moment chose faite.

Cette augmentation significative du budget des Armées porte leurs crédits totaux à 43,9 milliards d'euros.

Plus de la moitié du budget 2023 (25,6 milliards d'euros) sera consacré au renouvellement et à l'entretien des équipements, répondant ainsi au besoin de masse mis en lumière par la guerre en Ukraine. Il s'agit-là d’un choix stratégique fort, visant à "combler les lacunes qui limitent la disponibilité des moyens" : des munitions élémentaires (+ 500 millions d’euros) aux appareils les plus sophistiqués (avec notamment la mise à l'eau d'un deuxième sous-marin nucléaire d'attaque de type Barracuda). 

La réussite d'une telle orientation dépendra néanmoins de la capacité à "produire plus vite les systèmes d’armes" selon le courrier que le Ministre a adressé aux industriels au mois de juillet, qui fait actuellement l'objet de discussions entre ces derniers et le gouvernement. Le volet matériel s'accompagne enfin d'un effort sur la dissuasion nucléaire, "dorsale de notre sécurité" comme l’a rappelé le Président lors de son discours à Toulon, qui bénéficie de 312 millions d'euros supplémentaires, portant ses crédits totaux à 5,6 milliards d'euros. 

Si le conflit russo-ukrainien a mis en exergue le rôle crucial que jouent les équipements et les technologies dans les conflits du 21ème siècle, il a également souligné la nécessité de préserver les "forces morales", toujours décisives. Le volet "ressources humaines" constitue donc la seconde priorité de ce budget, appelée à gagner en importance dans les échéances à venir. Pour 2023, il s’articule autour de deux axes : 

  • premièrement, le déploiement de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), débuté en 2021, sera achevé l’année prochaine. Élaborée dans le but d'indemniser plus correctement les sujétions liées au métier (par exemple en matière de mobilité) auxquelles les forces sont soumises, cette nouvelle politique doit permettre, in fine, de renforcer l'attractivité du métier des armes et d’assurer la fidélité des hommes et des femmes qui font vivre le ministère ;
  • deuxièmement, en dégageant 669 millions d’euros supplémentaires pour la masse salariale et en annonçant 1 547 créations nettes de postes, le budget 2023 témoigne de la volonté des Armées de s’assurer, dans des domaines clés tels que la cybersécurité ou le renseignement, des ressources humaines solides.

…qui nourrit néanmoins des préoccupations...

Si les efforts consentis respectent les engagements annoncés, ils s'inscrivent dans un contexte économique particulièrement tendu. L'inflation record qui en résulte devrait amputer, selon les estimations, un milliard d’euros au budget des Armées. À ce titre, les 669 millions d'euros supplémentaires dégagés pour la masse salariale par exemple ne répondent qu’à la revalorisation de point d’indice des fonctionnaires et ne permettent donc pas le choc d'attractivité promis.

En réponse à ces inquiétudes légitimes, le ministre des Armées s'est voulu rassurant lors de son audition par la Commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale le 5 octobre. Il a précisé que la LPM prévoyait les dispositifs nécessaires aux ajustements budgétaires et à la préservation des moyens militaires. Parmi eux, l’article 5 de la LPM permet au gouvernement de revenir au Parlement pour demander l'accord de nouveaux crédits : en 2022, 50 millions d’euros avaient ainsi été débloqués pour répondre aux besoins en carburant. La LPM prévoit également un mécanisme de solidarité interministérielle et la possibilité d’un report des charges sur le budget de l'année suivante.

Les 669 millions d'euros supplémentaires dégagés pour la masse salariale par exemple ne répondent qu'à la revalorisation de point d’indice des fonctionnaires.

À l'image de sa prédécesseure Florence Parly, c’est cette option que Sébastien Lecornu a choisie, annonçant aux députés que des "rendez-vous étaient à prendre". Le recours de plus en plus fréquent à un tel mécanisme interroge néanmoins. 

Surtout, ce budget n'intègre pas pour l'instant le coût du soutien supplémentaire qui devrait être apporté à l’Ukraine dans les prochains mois. À l'heure de la contre-offensive de Kiev dans l'est du pays, la solidarité française à l’égard de l’effort de guerre ukrainien est appelée à évoluer. Le président de la République lui-même a annoncé que la France entamerait prochainement le "quatrième chapitre" de cette solidarité, dont les détails devraient être connus à l'occasion de la conférence internationale du 13 décembre prochain. Pour l'année 2022, le projet de loi de finances rectificative (PLFR) a témoigné de son agilité en débloquant, au regard des "récents bouleversements géostratégiques", 1,1 milliard d’euros pour les Armées. L'augmentation attendue du coût du soutien français à Kiev constituera sans doute, pour ce mécanisme de rectification, une nouvelle épreuve.

…et qui rend donc nécessaire la poursuite des efforts dans le cadre de la prochaine LPM

Au-delà de la régénération de l'appareil de défense français prévue et mise en œuvre par la LPM actuelle, le contexte géopolitique appelle une ambition accrue. C'est pourquoi une nouvelle LPM, pour la période 2024-2030, est actuellement en préparation et devrait voir le jour au premier semestre 2023. Celle-ci ne sera néanmoins pas accompagnée d’une revue intégrée ou d'un livre blanc comme nous l'appelions de nos vœux dans notre note parue au mois de juillet, Défense française : ajuster nos efforts, alors qu’elle devra faire des choix décisifs. Dans un environnement international particulièrement dégradé, marqué notamment par le déplacement du centre de gravité géopolitique vers la zone indo-pacifique où les tensions se multiplient, la recomposition de l'engagement français au Sahel et le retour de la guerre sur le sol européen, une réflexion stratégique d'ampleur s'impose afin de "bâtir collectivement la stratégie de puissance d'équilibres de la France". Ce n’est pas l’option retenue par le Président, qui a présenté à Toulon les grands axes d’une nouvelle Revue nationale stratégique élaborée par le gouvernement, en quelques mois seulement. 

Néanmoins, le certain consensus transpartisan observé sur le volet défense du PLF 2023 (seuls quatre amendements ont été intégrés au texte de loi avant le recours du gouvernement au 49.3), ne dispensera pas le gouvernement d'un effort de pédagogie important autour de la nouvelle LPM, si elle est aussi ambitieuse qu’annoncé, dans un contexte économique et politique particulièrement défavorable. Cela aurait pu être entamé au cours d’une réflexion stratégique d'ampleur associant les forces politiques, et permettant de mobiliser la nation toute entière. La guerre en Ukraine le montre : la sécurité est l’affaire de tous.

 

Co-écrit avec Axel Noisette, assistant chargé d'études

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne